Allo Anh …
Commissariat : Jacques-Victoir Giraud
Il faut descendre l’escalier, passer par le garage pour accéder à l’été. La gazinière avec sa bouteille de gaz, les plantes, des tâches rouges dont ces chaises ou fauteuils (avec l’âge le corps est moins souple et nous sommes en occident), une vierge recouverte de bleu, un bonsaï… La cuisine d’été est révélée en grand format, pas à la taille réelle. Elle se distingue de l’histoire réelle, de ce lieu de rencontres, de soirées à déguster les mets, à boire, à parler, écouter poindre le matin.
Le quotidien s’affiche sur papier dans la transparence de l’existence limitée par le renouvellement des jours. Reflets de vies, évènements passés sans fascination (le tirage est très clair et anéantit les ombres) comme un regard superficiel pour toucher la sincérité : Été, 1998.
Dans l’autre aile du bâtiment, une fois ouverte la porte d’un atelier, un parcours étroit se dessine entre une table centrale et les meubles, étagères adossées aux murs. Le tout est recouvert de papiers, cahiers, objets, outils, ustensiles… Aux murs Les ardoises, 1989, des peintures avec leur bitume, pigments, collages divers, des dessins plus récents aussi, ces portraits tracés d’un trait souple et liquide suggérant la voix – le son. À l’extrémité de la table des boîtes en devenir, de petits anges de pacotille attendent d’être mis en situation. Une lame de scie circulaire dorée interroge le projet. Un moteur conservé la ferait bien tourner comme le disque de 1987 faisait tourner les flûtes de la sculpture Tiko-Silem où les sons se jouaient dans l’inspiration mécanique.
Reviens le quotidien, la veille avait eu lieu le grand nettoyage de la forêt de bambous, un chemin avait été tracé pour aboutir à une clairière où restaient encore les restes d’un feu. Certains bambous n’avaient pas été brûlés, leur conservation était due à leurs formes, leurs calibres, leurs hauteurs et à ces tons verts, recouvrant partiellement le bambou, limités par les nœuds cloisonnants. Une seconde peau faisait œuvre, issue d’une peinture, une coulée allait déterminer la colonne. Ce nouvel élément allait être attaqué, incisé mais préservé. Il rappelait l’acte de percer afin d’extraire la sciure accumulée en spirale autour de la mèche. Ce nouveau bien, soigneusement récupéré est disposé à l’amorce de sa provenance. La planche se transforme en terre avec ses taupinières et ravive un ancien lieu de centralisation politique dans les Trophées et panoplies de 1992 et surtout : TRPH , 1992, ( bois, pigments, goudron, vernis, sciure, entonnoirs, flèches de chasse, cônes de fer blanc).
La scie pouvait attaquer dans sa rotation ce nouveau pilier. Parmi les objets épars deux sachets enfermaient chacun un bouddha.
Dans les faits divers de nos pages internationales récentes : un jeune moine méditant depuis plusieurs mois sous un arbre au Népal avait disparu.
Au centre de l’exposition le petit bouddha rit de son corps de velours. Il ne peut être atteint par ce qui se passe en dessous. La pensée permanente est neutralisée pendant que le son de la lame de scie entonne l’usure et nous rend notre temps déjà passé : Petit b, 2006
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Deux petites lampes rouges d’autels orientaux donnent la lecture. Leur intensité est progressive. Elles sont sur le bord du bac de zinc devenu cadre. Une image, noire et blanche de lotus, multipliée recouvre la partie centrale et crée la surface du tableau. Le noir est intense et aspire tel un gouffre. Ce qui arrête ou maintient cet arrêt du bord : un ustensile familier – petite louche munie d’un long manche pour recueillir l’eau. Par aimantation elle est maintenue au bord de cet abîme. Elle réfléchit un geste primordial pendant que le lotus nage. La longueur de son manche permet d’aller puiser l’eau pure et transparente. La tige du lotus, elle, puise dans la profondeur, dans la vase, dans le lointain indisponible de l’image : Cây sen, 1996.
Placée au centre et à bonne hauteur, cette louche devient le miroir de nos faces, ce qui « altère désaltère » , Ô Parleur, mini CD catalogue 1992.
Un paquet de feuilles de lotus tourne sur lui-même. Il offre la base d’un buste ou l’image d’une étoffe, d’un châle. Un échafaudage le retient et supporte de petites pyramides de pigments. À notre approche un éclairage se déclenche et redonne à chaque pyramide sa coloration. Le dispositif est visible et accentué par le pied de géomètre qui supporte l’appareil de projection. Il est donné à voir ce qui a été vu, ce qui a été là. Nous pouvons recommencer l’opération en nous déplaçant. Nous nous faisons prendre de près, de loin. Dans ce pas de danse la projection prétend transmettre la trace fidèle et donne le tempo. La mise en scène nous rend acteurs, les éclairages : la lecture. La couleur nous appelle et nous surprend. La rotation est l’égale du mouvement d’horlogerie. Coïncidence malheureuse ou heureuse : Dépeindre!, 2000
Ce rythme de pas rappelle les oui, non, diffusés en plusieurs langues sur le pont Jacques Gabriel à Blois le16 septembre 1989. Des projecteurs répartis de chaque côté du pont créaient des rames lumineuses. Le déclenchement énonçait le rythme de la force enclenchée du travail des galériens. Deux berges étaient ainsi retenues sous-tendant l’organisation.
L’inauguration, le neuf, le nouveau et aussi bien ce qu’il y a de plus ancien, ce qui a disparu dans les dépôts en décomposition : Exercices Atmosphériques et Appareillage Ordinaire
Là, il nous faut entrer dans une cabane, être immergé de sons, paroles, mixages, dialogues, chants d’oiseaux… nous asseoir sur le velours bordeaux qui recouvre un aquarium. Face à un écran qui révèle en temps réel nos pieds devant un ballet de tongs. Ce ballet dont certains extraits fourniraient matière aux publicistes, transforme et élabore ce matériau vécu d’évènements catastrophiques. Le son fait se télescoper les lieux, les figures et le temps. Un mensonge de part la présence de nos pieds s’insinue dans ce déroulement - fait de la caméra de surveillance. Cela s’affirme devant nous, simplement mais aussi avec flottement, ce que notre attitude confirme. La vérité est sous le cul. C’est par là que nous sommes complices et qu’on s’y expose. La porte refermée pour nous défendre, nous louons la beauté du ballet : Tong’s, 2005.
Dans les sons de dialogues, s’insinuent les marchands, puis les balayeurs. Ils ont dû effacer les pas de tous les visiteurs lors de Mobile Apparent (installation dans le château d’eau de Bourges 2001).
Le son du petit train du Pérou gravissant et dévalant guidait le parcours des humains. Une accélération, désaccélération les faisait parcourir le lieu circulaire d’exposition rythmé par des emblèmes surgissants dans l’instant de passage – rendant les choses disponibles, les donnant et les écartant aussitôt dans la succession. Manipulation politique dévoilant des signes et les révélant pour aussitôt les absorber. Course où les choses sont données quand le monde vient juste de s’effondrer. Reste le son incessant de cette locomotive qui avoue la tromperie et la continue tout en la dénonçant.
Au plus près une douche de lumière éclaire deux longues tables où sont disposée sur chacune, une ligne d’ustensiles métalliques. Leurs contacts fait s’énumérer chaque objet divers en plusieurs langues, une voix féminine pour l’une et une voix masculine pour l’autre. Les paroles sortent de deux hauts parleurs fixés sur la paroi du fond pour être assimilés à une paire d’yeux. Ils nous renvoient aux points de contacts et nous font retourner à nouveau dans le flux de l’énonciation qui n’a de cesse, tel un chant intérieur. Tout concourt à exténuer les mots et transformer les objets nous transportant dans un autre espace ouvert par le rythme de la vision et du son et rendu de plus en plus lointain : L&R, 2002.
Les lettres L et R réalisées dans un ouvrage de tricot, présentées avec leurs aiguilles (tricot plat à deux aiguilles envers et endroit), deviennent les emblèmes des identités intimes créatrices. Cette (dé) marche gauche, (mais) droite fait s’articuler les faits vécus et l’art : L&R, 2005.
Un miroir réfléchissant produit l’image de la première différence par l’intermédiaire dérisoire de la disposition de burettes d’huile, de plats de pacotille disposées sur des feuilles de lotus incorporées aux grands aplats pigmentés de tons vifs. Dans ce chatoiement, exotisme et faux-semblants, se glisse le retour, non sans ironie, à l’innocence ou au langage oral. Il demeure un espace de contemplation et de sérénité qui ne signifie ni ne dévoile mais reste immobilisé dans le monde des choses : De deux choses lunes, 1995.
L’absence transforme ces objets et ouvre au devenir rythmique. Cet irréel saisi lors d’une performance où le froissement constructeur de la tenue d’un danseur tournant sur lui-même et s’enroulant sur une corde maintenue par un dialogue des cultures est clos par une détonation - sursaut vital - cri. Reste cette image issue d’une mémoire de l’origine : UTUTUTUTU, 2005.
L’étendue des propos ainsi posée, avec celle de la mémoire collective et de l’histoire liées à ces petits riens de la vie, propulsent Rémi Boinot dans la transparence tant recherchée pour donner l’écoute de l’autre et fonder l’échange et le partage.
Un personnage grimé ( RedmarchRouge, 2002) mimant le chant traverse la pupille de l’iris sur fond de veines rouges du globe. Dans ce mouvement perpétuel, sans affirmation définitive, là où le faire seul importe et dans cette exigence, la profondeur parle. La cendre se consume, née du danger : Feu Monsieur Nicotin, 2006.
Dans cet infixable de l’instant : les yeux parlent - les yeux qui parlent, CD 1999.
Jacques Victor Giraud
Été, 1998
Sérigraphie
Dépendre !, 2000
installation, 250x50x30 cm, pigments, moteur, feuilles de lotus, projecteur, pigments, lotus leave, miror ball motor, slide projector
Tong’s, 2005
installation, aquarium préparé, tongs, dispositif sonore, caméra, écran lcd
Montage son: Ruelgo
L&R, 2002
Tricots