Flores et décors
Les invasives
Par un travail de manipulation, d’assemblage et de juxtaposition de sacs plastiques colorés, Paul Pouvreau crée une nature qui lui est propre. Une nature artificielle réalisée avec une certaine délicatesse dans l’utilisation d’un matériau qui révèle une diversité d’espèces florales réunies en bouquets plus séduisants les uns que les autres. Le déploiement de ces sacs qu’il associe à une variété de plis et de replis où le vide, la transparence, la superposition et la juxtaposition de couches produisent des dégradés et des associations de couleurs, génère un univers familier et étrange à la fois. Ses compositions harmonieuses dans leurs formes et leurs matières, simulacres de corolles et de feuilles, n’en sont pas moins des bouquets offerts aux regardeurs sujets au ravissement et au pouvoir de séduction qu’ils engagent. Si l’intention n’est pas de calquer des espèces naturelles particulières, car le plastique produit des formes et des variétés qui lui sont inhérentes, l’artiste participe cependant à une sublimation de l’objet dans le maniement et la découverte des possibles de la matière. Le développement de cette recherche révèle la conjonction de contraires. L’art de cultiver non pas des végétaux mais des espèces plastiques séductrices et invasives est en effet symptomatique d’une société confrontée à des messages paradoxaux et contradictoires basés d’une part, sur la stimulation systématique d’un désir de consommer dans des proportions toujours plus importantes, portée par le marketing et la publicité, et d’autre part, sur la nécessité de participer activement à la protection de l’environnement par, notamment, la limitation de déchets. La représentation du végétal montre donc à la fois une proximité avec la nature mais nous en éloigne par l’utilisation de sacs plastiques nocifs pour la faune et la flore où ces déchets qui se répandent sur la planète entraînent une modification des écosystèmes en même temps qu’ils représentent un danger pour certains animaux en provoquant leur étouffement et leur étranglement. Objets recyclés par un acte artistique, fixés par le médium photographique, Les invasives accèdent à une place où elles deviennent un lieu de passage et d’échange entre matière et pensée. Leur présence ouvre la voie d’une nouvelle existence à conquérir dans le désenchantement d’un monde dont elles signalent majestueusement et en couleur, la triste issue.
Extrait du texte d'Isabelle Tessier, Directrice de l’artothèque de Vitré