Blocs boîtes et archi
Au crépuscule de la marchandise, Michel Poivert pour Variations Saisonnières, catalogue d'exposition, Vitry-sur-Seine, 2016
Les photographies des petits riens, sur lesquels parfois notre regard se pose, fixent comme le ferait un poème les signes discrets d'un monde habité. L'art de décrire les rencontres silencieuses est l'expression d'une disponibilité de l'esprit, et la méthode de déchiffrage de signes inédits. Pour filer la métaphore de l'écriture poétique, on pourrait dire que Paul Pouvreau versifie à partir du prosaïque. L'une de ses opérations favorites consiste à traduire les images imprimées, les sigles et les marques, en une langue nouvelle. La particularité de sa méthode est de conserver le support de ces graphismes en tous genres - les sachets en plastique, les cartonnages et emballages divers - qui, par leur volumétrie, configurent un espace de représentation. L'œuvre présente ainsi, presque toujours, un contenant vide mais plein de sa surface ornée, immergé dans la représentation. Le creux bavard est mis au défi de bâtir un nouveau monde. Paul Pouvreau ne «prélève» pas, ne «cite» pas, ne «détourne» pas selon les grandes recettes des avantgardes. À bien observer ses photographies, on constate qu'elles s'organisent toujours autour de pans qui se relèvent, de motifs qui se retournent, de lignes qui se croisent pour rétablir un axe ; ce que l'on le même plan, une méthode d'égalisation - Peut-être même égalitaire. Cette méthode dynamique se retrouve projetée dans l'espace avec les images montrant les assemblages volumétriques d'emballages. Véritables architectones, ces constructions au caractère a priori dérisoire - tant ses modules se donnent pour ce qu'ils sont (de triviaux contenants) - évoquent pourtant les maquettes de cités idéales. C'est que la notion de standard y est déjouée : alors même que chaque boîte est celle d'un produit de consommation, leur assemblage constitue la structure générale. Habituellement régie par la loi du stock, voilà les boîtes assignées à d'improbables édicules.
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Rien qui ne ressemble désormais à un rayonnage de supermarché ou au chaos d'une déchèterie. Dans le cycle de la marchandise, une disruption s'est produite. La magie opère en raison de l'échelle et de la représentation. Une sorte d'idéalisation à partir des éléments du quelconque crée les conditions visuelles d'une fantasmagorie du banal : les ombres et la perte d'échelle que propose la prise de vue font passer l'assemblage du côté de l'image mentale. Le phénomène doit beaucoup aux jeux des proportions, cette monumentalisation de l'illégitime (l'opération moderne qui dérègle l'ordre de l'art), mais aussi au peut y discerner semblent se déplier. Il s'agit en effet, pour nombre d'images, d'opérer un dépli. Le dépliage est l'art (au sens d'un savoir-faire) de remettre tout sur traitement monochrome - le plus souvent en noir et blanc ou bien en une atténuation singulière des partis-pris criards des couleurs utilisées pour les emballages. Désormais filtrés, livrés au clair-obscur, les ornements pop deviennent des fétiches oubliés.
Paul Pouvreau est un artiste de la désuétude et du crépuscule mais sur un mode inédit Peu d'images de produits de consommation ont jusqu'alors produit ce sentiment de passé, tout en restant des emblèmes du présent - si ce n'est, peut-être, la série séminale des produits d'Ed Ruscha (Product Still lifes, 1961) ; avec Paul Pouvreau les produits sont plongés dans un nocturne plus mélancolique et forment ces cités futuristes mais figées dans leur rêve compromis d'établir un monde nouveau. Jamais, mieux qu'ici, le matériau carton-pâte n'a produit son allégorie : l'éternité livrée aux intempéries. On pense alors à l'œuvre vidéo de l'artiste intitulée La Cabane (2004) qui montre la ruine progressive d'une construction de carton sous les assauts du climat Mais l'au-delà du vétuste, c'est la métamorphose. La fascination de l'artiste pour le cartonnage ou l'enveloppe l'amène à tenter l'expérience d'en faire le subjectile même de ses œuvres, et imprimer les photographies sur un support carton. L'encrage de l'image créée vient ainsi se substituer à celui des logos et des marques. Le processus d'inversion semble engagé. D'un côté, les travaux explorent le vertige d'une mise en abime, où les motifs vernaculaires de la consommation se travestissent en propositions plastiques, et où l'on ne distingue plus la nature des choses. D'un autre côté, c'est la liberté d'une expansion des gestes artistiques où les murs accueillent non seulement de gigantesques images d'installations, mais encore des accrochages en superpositions de photographies, donnant à l'œuvre l'apparence d'un Merzbau.
Paul Pouvreau travaille cette question de l'ordre des choses et des signes, ses œuvres parlent un dialecte encore inconnu. Reconstruire un monde, à partir des «riens» (l'emballage, cette plèbe des objets), forme ainsi l'utopie d'une œuvre marquée par ce que l'on pourrait qualifier de grande opération esthétique et démocratique. Tel le chiffonnier de Walter Benjamin, l'artiste glane tout ce que le vernaculaire offre de trésors, ces boîtes et ces motifs que sont les logos et leurs « peintures idiotes» pour reprendre la fameuse expression que Rimbaud employait pour qualifier les enseignes. De ce que le monde oublie ou recycle dans la machine consumériste, Paul Pouvreau compose une langue bégayante pour parler d'un monde nouveau, fait de cités imaginaires, de projections défiants la géométrie euclidienne. C'est le dessin qui accomplit ce projet : le recours aux tracés en couleur, sur les supports de carton toujours, et qui viennent rejouer les objets. Que le dessin produise une nouvelle fréquence dans l'œuvre est une évidence, mais il s'agit chez Paul Pouvreau, et en dépit de ce que le travail peut, sembler avoir de «critique», il s'agit d'une forme ou d'un dispositif consonant. Car le trait et le crayonnage unifient la surface, mais surtout produisent une égalité de traitement entre les objets représentés et le fond (la leçon de Cézanne ?) ; avec toujours ce qui est la grande originalité de ce travail : le volume interne de l'image. C'est-à-dire, concrètement, la boîte (polyèdre élémentaire) toujours présente avec sa surface ornée désormais par le dessin «à la main», et dont tout l'espace qui l'entoure semble être le dépli d'elle-même.
Avec Paul Pouvreau, la sacro-sainte perspective est comprise comme un système vernaculaire : la configuration d'un espace pour Tous. Pour les moindres riens. En dépliant la représentation la plus prosaïque, en rencontrant les surfaces planémétriques et volumétriques, Paul Pouvreau pose à sa manière l'une des grandes énigmes de l'époque : comment lier notre destin à la manufacture ? Si le produit fait par la main de l'ouvrier qualifie une forme d'artisanat, le terme induit aussi bien le caractère répétitif du geste que la standardisation de l'objet. La manufacture, projetée dans l'univers de Paul Pouvreau, conjoint ainsi les deux imaginaires du «faire». Le dessin exemplifie cette facture manuelle, comme le retour d'une expérience intuitive et patiente dans un univers d'appropriation des produits de consommation. « Reprise en main», dira-t-on, où les illustrations des emballages deviennent représentations au style crayonné, revendiquant une certaine naïveté (au sens d'un art «naïf»), ou bien, parfois, un certain classicisme comme dans les paysages mais où, de façon obsédante, le polyèdre vient reconstruire un volume dans l'espace.
Que retient Paul Pouvreau de la marchandise - cette entité définie par sa valeur d'échange dont Marx soulignait le caractère mystérieux ? De la valeur, l'œuvre tout entière interroge le socle (palette de bois), le contenant (carton) et l'enveloppe (papier journal).Sinon, tout a disparu : comment bâtir un monde avec ces riens ? C'est la dimension becketienne de l'œuvre de l'artiste, une métaphysique rugueuse et sourde. À partir de laquelle un souffle toutefois surgit, et devient capable de reprojeter l'entière misère des substances en un nouveau rêve de grandeur, comme cette cité faite de paquets et d'emballages, juchée sur une colonne sans fins de palettes, éclairée de façon à ce qu'elle projette partout l'ombre d'un phare. L'enchantement du trivial fut le projet pop, après quoi les artistes conceptuels firent des objets de consommation des fétiches livrés à nos manies (série, collection, classification...). Paul Pouvreau se détache de ces héritages, il aime construire dans le crépuscule de la marchandise, de nouveaux repères.
— Michel Poivert, Variations Saisonnières, Catalogue d'exposition, Vitry-sur-Seine, 2016
Matières premières
Exposition personnelle au Centre régional d’art contemporain, Sète, 2013
Archi
Archi comble
Commande publique du Centre national des arts plastiques
Cette commande publique consiste en un affichage de six images en noir et blanc, toutes différentes, sur les panneaux d’affichage 3 x 4 mètres et sur les sucettes Decaux dans le centre et à la périphérie des villes. Elle a été présentée pour la première fois à Arles pour les Rencontres photographiques et ensuite à Sète, Ortez et Vitré.
Le projet intitulé Archi comble se propose d’installer un dialogue visuel entre l’architecture de la cité – la diversité de ses bâtiments – et celle d’un bloc image constitué de photographies représentant, elles aussi, des formes architecturales et sculpturales. La seule différence, c’est que les photographies présentent des prototypes de constructions réalisées avec les emballages usagés du quotidien. Aussi, pour qu’un tel dialogue prenne la forme d’une conversation plus large et concrète au sein de la cité, les photographies noir et blanc et couleur seront diffusées sur les panneaux et sucettes publicitaires. L’usage des supports publicitaires est motivé ici par un principe d’ironie, qui s’apparente et s’appréhende visuellement comme un effet de retournement. Précisément dans la mesure où ces emballages, agencés et photographiés comme des architectures, se retrouveront là où on a l’habitude de vanter ces mêmes produits, c’est-à-dire au milieu des signes publicitaires. Ce projet tente de révéler dans ses formes un échange de procédé en quelque sorte condensé ici, en image et en situation, entre la photographie, la publicité et la cité. Il s’agit de pointer à la fois les relations de production d’économie et de communication entre ces trois territoires dans l’espace urbain. Mais aussi de révéler la place importante que la cité accorde désormais à l’image comme partie prenante de son architecture avec les modifications singulières qu’elle ne cesse d’apporter sur sa configuration.
Paul Pouvreau
Archi comble à Arles, 2012
Archi comble à Vitré, 2014
La cabane, 2004
La Cabane est une vidéo de 12 minutes, réalisée dans le cadre d'une résidence à Pougues-les eaux. Elle est le condensé d'un tournage qui a duré environ six mois pendant lesquels une architecture en carton, construite dans le parc est altérée par les aléas du temps et des intempéries . Cette vidéo se présente comme un long temps de pose photographique et montre en un plan fixe et serré, les modifications que subit cette architecture jusqu'à son effondrement. En fait dans la vidéo la façade de l'architecture s'apparente à une grande plaque sensible sur laquelle se projette une succession de formes apparaissant et disparaissant comme des images.
Ce que l'on mesure également au final c'est que la chute, ce point ultime entre équilibre et déséquilibre n'est pas enregistré. En fait, de manière symptomatique, manquent l'instant et l'instantané.
Collection Frac Franche-Comté
Burn, 2007
Une vidéo sonore en boucle, réalisée dans le cadre d'une résidence, avec une des classes du Lycée Agricole de Mirande.
C'est une architecture sommaire. Entre la cabane de jardin où se range les ustensiles de jardinage et l’abri pour animaux. Une sorte de refuge possible dans le paysage. Immobile ou presque dans un paysage serein qui s'étend loin derrière jusque sur l’arrondi des collines.
C'est une cabane qu'on voit, qu'on entrevoit , qu'on devine, incertaine puisqu'elle s'envole en fumée. C'est l'objet de la vidéo la fumée avec le feu brutale et fascinant, à la fois destructeur et créateur de formes inattendues. Au départ peut-être un feu de campagne s’éteignant au milieu d’un pré. Puis subrepticement se ré-active avec l’intensité du vent s’engouffrant par rafale dans le tapis de cendre rougissant, jusqu'au crépitement sec de l'image qui se déchire avec les flammes. Et finir à nouveau dans les volutes de fumée qui s'échappent comme des signes s'enroulant à l'assaut du paysage. Epaisses fumées inquiétantes masquant le paysage pour le faire disparaître et puis, finissent par se diluer pour rejoindre les nuages, semblables à ceux qui flottent au-dessus des plaines d'Amérique du nord. Entre apparition et disparition comme un songe ou un présage à décrypter.