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Les brûlants pisciformes


Cindy Daguenet, 2023

Le travail de Jeanne Cardinal est nourri à tous les niveaux par la sculpture ainsi que par le collage qui tient une place importante dans son processus créatif. Diplômée de l’École Nationale Supérieure d’Arts de Limoges en 2018, Jeanne Cardinal n’en a pas pour autant oublié sa formation en Art et Industrie de la Céramique. Influencée très tôt par les artistes du Groupe Memphis, on retrouve dans son œuvre une prédilection pour l’objet et l’imagerie populaire, un sens de l’humour, et des couleurs pop. Sa maîtrise des différentes techniques de céramique lui permet de jongler aisément avec les matières, les couleurs et les patines. Jeanne Cardinal est aussi fantaisiste, elle hybride les objets, assemble les techniques, les matières et les formes. Sa sculpture tient du grand collage, d’une combinaison d’éléments. L’artiste aime aussi créer des récits comme lors de son exposition à la Collégiale Saint-Mexme à Chinon avec Exocet, une performance graphique et sonore en duo avec Axelle Glé. Quant à ses influences et ses références artistiques, Jeanne Cardinal vous parlera de Richard Fauguet, Allan McCollum, Isabelle Cornaro, Bruno Peinado, Martial Raysse, Sarah Tritz, Richard Artschwager, les Shadoks.

Pour son exposition Les brûlants pisciformes présentée durant tout l’été 2023 à la Collégiale Saint-Mexme à Chinon, Jeanne Cardinal s’est employée a créer un dialogue et un récit fantasmé avec l’édifice millénaire. Lors de sa première visite, l’artiste s’est saisie des motifs, des matériaux mais aussi des mots utilisés par Claire Portier, responsable du Patrimoine à la ville de Chinon, pour décrire cette architecture romane, sobre et décorative. Construite comme un cheminement, son exposition Les brûlants pisciformes mêle les quatre éléments le feu, l’air, l’eau, la terre et reprend également un ordre naturel en bas la terre, puis l'eau, puis l’air et enfin le feu.

L’exposition s’ouvre par la présentation dans le narthex d’À l’Orée Bleue deux colonnes composées chacune d’une base et d’un fût surmontés d’une petite céramique émaillée en guise de chapiteau. Mises en perspective et en écho avec les colonnes ornementales entourant cette première salle, l'œuvre superpose les matériaux et les techniques : céramique, bois, papier mâché, béton et impression photographique.

Pour l’une des deux colonnes, l’artiste s’est servie d’une série d’objets qu’elle a moulés avec une pâte à papier mâché de boîtes à œufs qu’elle a recyclée, transformée. Presse citron, moule à cannelé, ramequin et petit bol moulé-pressé composent les motifs ornementaux du fût de la colonne qui sert à la fois de support et de scène à ces objets du quotidien. Détournés de leur utilité première, ils sont accessoirisés en motifs ornementaux non sans humour, et à peine reconnaissables sortis de leur environnement. Quant à la pâte à papier mâché, elle donne l’illusion du béton gris présent quant à lui sur le fût de la deuxième colonne.

À l'étage de la collégiale est présentée Les brûlants pisciformes une sculpture en porcelaine et en grès aux dimensions imposantes, une première pour l’artiste. Cette sculpture est composée de formes géométriques colorées : trois cônes, un cercle et un trapèze. L’aventure abstraite se poursuit avec un récit qui apparaît en bas relief sur les deux principales formes coniques. L’artiste nous indique que « les sculptures en grès et en porcelaine délivrent un récit jouant avec l’espace et le temps, les abîmes et les nébuleuses, et posent ainsi le contexte de vie fantasmé des poissons volants à six nageoires. ». Cette sculpture télescope l’abstraction et la narration, et nous renvoie justement aux influences de l’artiste et à l’exposition Fatland / abstractions narratives que l’artiste a découverte à Sérignan en 2017.

En juillet dernier à la Collégiale Saint-Mexme, Jeanne Cardinal s’est associée à Axelle Glé pour une performance narrative sonore et graphique dont elle nous explique que « ces signes associés chacun à des sons sont la matière du poème narratif polymorphe et des textures vocales répétées durant la performance. Cette double modalité de la parole ouvre l’oreille à une rêverie animale et fantastique à la poursuite des poissons volants. Tantôt monstre de joie, tantôt peuple doux et inquiet, la foule des exocets traverse le cycle des jours et parcourt les quatre éléments en un voyage qui confine au merveilleux. Les éléments sonores et visuels s’énoncent sous forme de partition graphique peinte au feutre. Ainsi notre association artistique propose une expérience globale d’appréhension de l’oeuvre sculpturale et sonore, dans le temps de la performance Exocet. ». 


Cindy Daguenet
Commissaire et chargée de missions art contemporain et communication pour les Musées de la communauté de communes Chinon Vienne et Loire