Centre de Création Contemporaine
Photographie © CCC Tours.
« Peter Briggs est sculpteur, anglais, né de père botaniste, adepte de la vision stéréoscopique.
Homme de souche anglaise, de ballade française, et de relevé du regard, s’il y a chez lui repli, c’est hors de sentiers battus, que ce soit dans les sous-bois, lieux de la lumière filtrée et branchages spécifiques à sa recherche, ou dans l’atelier, lieu de la main, du toucher, de la mémoire matérialisée.
Cette sorte de repli porte à conséquence intellectuelle: pour l’œil du botaniste, le minimalisme est décidément par trop urbain, le land-art, outre excellence de ses promeneurs solitaires, reste d’inspiration fort désertique, quant à l’aplat du regard, il vire généralement au monochrome et à l’oubli de l’oblique.
Rien de plus naturel, dès lors, pour ce tempérament de sculpteur baladeur-regardeur, qui sait qu’il n’est pas question de sculpture sans déplacement visuel et corporel, sans conscience du relief, sans connaissance des masses et des matières, sans attente de la lumière, sans rapport quotidiennement vécu au toucher des doigts et à la prise de la main…rien de plus naturel donc avec toute la signification biomorphique que cela sous-entend, que de retrouver la vigueur des branches, de fondre dans le métal leurs courbes, d’y aviver la vitalité de leurs nœuds, d’y maîtriser les nuances du jour par le jeu des cires.
Mais il s’agit aussi de rester à l’échelle du geste, du corps et de ce qu’il peut porter, et de regarde l’exact relief des choses. Ses sculptures sont à la dimension de l’homme et de sa préhension de la nature, à la fois sauvage et domestiquée. Elles offrent prise et développent les imbrications de leurs courbes, contrecourbes et creusets piégeant la lumière, comme autant de pulsions, d’arrêts, mais aussi de renversements de leurs supports (dans le travail de l’atelier, les branchages sont à l’envers, la « tête » en bas, à gauche du modelage de cire qui les dédouble) avant leur minéralisation par la fonte.
Quincunx, bronze, 41,2 x 15,7 x 13,6 cm, 1992.
Paysage moralisé, bronze, 34,6 x 16,5 x 4 cm, 1992.
Gymnopédies emblématiques, bronze, 39,5 x 18 x 10,6 cm, 1992.
Elles sont la mémoire fusionnée du rythme des recherches de l’arpenteur/ramasseur Peter Briggs, qui au gré de ses pérégrinations a accumulé en lui les forces libres et les tensions vives des arbres et de leurs branches, mais aussi la taille et les torsions de leur ramifications, et qui au gré de ses regards a saisi les fugacités de la lumière, les subtilités de ses clartés et ombrages, l’obscurité des renfoncements qu’elle ne fait qu’effleurer.
C’est pourquoi, après le travail de l’atelier et les choix différenciés des bois et de leurs tensions, des cires et de leurs fontes ses sculptures forment cœurs et nœuds de nature, dans leurs développements morphologiques et leur minéralisation luminoferreuse, l’inversion de leur tropisme et le renversement de leur ré-enracinements, leur appel au toucher des traces digitales, des empreintes de modelage, de moulage, de mains, mémorisées au vif de la fonderie.
Il y eut battue et prise en main, refus ensuite de la coulée continue et de l’esprit d’industrie, ignorance volontaire de la démesure et de toute expressivité « romantique ». Pour aller au cœur de la relation sculpture-nature, seule compte la mise en lumière des volumes immédiatement préhensibles et de leur vécu des pleins et des vides qu’ils déterminent.
L’évidence du relief est ici à la mesure des mains mais aussi du regard porté sur leur prise directe et leur travail futur dans l’atelier.
Intervient alors le désir stéréoscopique, la volonté de visualiser le relief et ses luminosités à froid, posément, en noir et blanc, avant de maîtriser ses subtilités et ses reliefs, ses forces et ses trouées. Si les dessins de Peter Briggs agissent comme des « études des principes directeurs », ses photographies stéréoscopiques en sont les indispensables applications avant le passage à l’acte. L’image y est déjà travaillée comme une sculpture, première prise de vue mais aussi surgissent du relief qui agit tel un matériau virtuel de la conscience créatrice avant de devenir œuvre. La volonté binoculaire, niant l’aplat et la surface, ignorant l’écran de l’esprit perspectiviste, donne à la lumière, tout comme à la matière, sa spatialité, multiplie les perceptions obliques, dédouble la conscience du relief en sa préhension visuelle et ses conséquences matérielles.
Des promenades du regard aux verres des clichés stéréoscopiques et des branchages trouvés tels quels aux sculptures nouant et réimbriquant nature et lumière, Peter Briggs repose la question de l’intégrité de la modernité en art, qui réside plus dans la réalité vécue et sa réalisation tangible que dans ses antériorités socio-historiques et ses préalables théoriques.
Le repli de Peter Briggs ne prend dès lors tout son sens que vis-à-vis de ces antériorités et préalables aujourd’hui dépassés. Sa volonté de dédoublement stéréoscopique de l’œil et de la main, du virtuel et du matériel, du relief et de la lumière, du vu et du touché, participe au contraire pleinement aux temps venus des bouleversements et des métamorphoses. Non seulement ceux déjà historiques, économiques, politiques ou de folie régressive qui marquent le début de cette décennie nonagénaire, mais surtout cette métamorphose de plus en plus présente de l’esprit des arts et de la perception que quelques artistes en ont aujourd’hui, qui en effet, ne pensent plus à se définir comme faisant avant tout partie intégrante d’un corps social des arts, imbriqué dans le système de globalisation gourmande qu’est le nôtre, sorte de « sexte mode » (à l’instar de l’appartenance sociologique au tiers ou au quart monde) dans le système de production et connivences établies avec les sous-entendus patents de rentabilité efficace. Peter Briggs vit une identique distanciation vis-à-vis de toute intégration au contexte « socio-hitorico-culturo-économico-médiatico-artistique »… inhérent à la décennie octogénaire triomphante mais sans doute point aussi triomphante, de la créativité internationale.
En d’autres termes, il a su comment ne pas sauter dans le dernier train de marchandise, ayant préféré rester artiste que devenir un artworker en déplacement d’intérêts. Farewell la City, qu’importe la centralisation hexagonale: les automatismes médiatiques ont été largement oubliés, pour laisser place à l’accomplissement synesthésique, à l’indispensable « toucher voir » de la sculpture retrouvant une tradition biomorphique.
Où l’art, retrouvant la nature tout en la doublant, s’est distancié d’une contemporanéité à sens unique, au contraire du musée et de l’histoire de l’art qui le furent du vécu. »
Perdez l’objet et approchez en obliquement de Michel Baudson, Tours, 1992.
10 stéréoscopies, stéréoscopie, 10 x 13 cm, Forêt du pin, Charante Maritime, 1991-1992.
10 stéréoscopies, stéréoscopie, 10 x 13 cm, Forêt du pin, Charante Maritime, 1991-1992.
Ce plaisir suberbe de forcer la nature, bonze, 47,2 x 19,5 x 14,7 cm, 1992.
© Collection départementale d'Art Contemporain de la Seine-Saint-Denis, 1997
Bronze, 1992.
Dos à dos, bronze, 53 x 21 x 17 cm, 1992-1993.
A Slight Tribangha, bronze, 40 x 14,1 x 11,6 cm, 1992.
Sens unique, bronze, 37 x 18 x 12 cm, 1992.
Valse (N71), bronze, 38 x x 10 cm, 1992.
Bilingue, bronze, 41 x 18 x 10 cm, 1992-1993.
Nocturne, bronze, 35 x 12 x 10 cm, 1992.
Bronze, 1992.
Conversation dans un jardin, bronze, 41 x 19 x 17 cm, 1992.
Claire de lune sur l'estuaire, bronze, 38 x 15,5 x 14,5 cm, 1993.
À l'abri de la lumière, bronze, 1991.
Vues de l'exposition personnelle Peter Briggs, Centre de la Création Contemporaine, Tours, du 20 juin au 4 octobre 1992. Photographies de © Jean-Baptiste Darrasse.