Let’s build a home
Galerie De Roussan, Paris, 2015
Depuis quelques années, Claire Trotignon dessine des paysages imaginaires peuplés d’étranges architectures. Pour sa première exposition personnelle à la galerie De Roussan, Let’s Build a Home, c’est dans la peinture italienne d’avant Alberti qu’elle a trouvé ses sources, en particulier dans la Fresque du Bon Gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti. À partir de quelques détails des hauteurs de Sienne, dont elle s’est librement inspirée, elle a construit des maquettes qui se lisent en anamorphoses, hautes tours dont certains détails ont été modifiés, comme ces murs transformés en fines colonnettes qui disent la profondeur de l’espace et la fragilité du lieu. Esquissées à la main, reprises en 3D, et construites en blasa, ces Triangulations reposent sur des jeux formels que l’on retrouve dans certains collages.
Dans un esprit semblable, et poursuivant une recherche dont les ressorts s’affinent de plus en plus, elle a crée des dessins, faits de gravures anciennes minutieusement découpées, dont elle assemble les fragments en vastes collages. Dans ces architectures cubisantes, en deux dimensions cette fois, elle a introduit des aplats de papier jaunis, qui font parfois l’effet de l’aquarelle. Ici et là, on reconnaît un fragment de bâtiment italien qui serait appuyé sur un drôle d’étai contemporain.
Le titre de l’exposition, Let’s Build a Home, est une chanson des Whites Stripes, et donne un accent de légèreté à ces constructions qui ont l’air de palais et de cabanes.
D’autres dessins représentent des explosions, réalisés à partir des minuscules restes de découpages antérieurs. On y retrouve l’effet de mouvement qui fait osciller les constructions précédentes entre stabilité et déséquilibre.
Read more
Ce sont un peu des explosions aussi qui ont lieu dans les deux collages Les Relèves sécantes, et dans Leurs lances comme des compas, dont les lignes rappellent les lances de la Bataille de San Romano peinte par Paolo Ucello. L’une de ces explosions a été transposée sur une structure de la forme d’un retable, dont le dos coloré dessine une aura sur le mur comme si une énergie impalpable émanait de l’oeuvre. Autre dessin dans l’espace, Leurs surfaces reposantes : un plateau de jeu se déploie en volume, reprenant l’allure d’un jeu ancien, et redessiné selon le même principe de collage à partir de gravures chinées en grand nombre.
Il y a quelque chose de cosmique dans la série Private Place. Claire Trotignon a inventé des espaces fantasmagoriques qui rappellent tour à tour les jardins à la française, les architectures utopistes du 18e siècle et les observatoires indiens du Jantar Mantar. Puis elle les a remplis de fragments de gravures comme un peintre y aurait étalé ses couleurs. Le plein et le vide y contrastent comme dans les jardins japonais. On y voit, selon ce que l’on veut y projeter, des petits théâtres ou des tombeaux, des piscines et des plongeoirs ou des arcs en plein cintre d’églises romanes.
Tout récemment, Claire Trotignon s’est enfin emparée d’une matière nouvelle : des cartes postales anciennes, qu’elle découpe et superpose, dans un jeu de déconstruction et de reconstruction de l’image, mais en leur conservant leur allure initiale, certaines à l’endroit et d’autres à l’envers. Dans A little River, A Great Dam, A Beautiful Lake, les petits bords dentelés taquinent les découpages à la main. Les lieux, les atmosphères, les couleurs et les langues se mélangent – la plupart de ces cartes ont été utilisées, mais on ne voit pas les écritures au dos. Ce sont des petits moments de cinéma dans lesquels les images se superposent, et le mouvement vient du montage. C’est l’image des souvenirs infidèles de nos mémoires.
Texte écrit par Anaël Pigeat.