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Morceaux choisisAtelier D3, Limogesdu 21/03 au 26/04/2025
Morceaux choisis
Exposition personnelle
Atelier D3, Limoges
du 21/03 au 26/04/2025
Les artistes :
Floraison, 2018
70 x 118 cm
© Paul Pouvreau
Atelier D3 rue Magella 87100 Limoges
Ouvert de 15h à 19h, vendredi, samedi et les autres jours sur rendez-vous au 06 81 20 72 36Du 21 mars au 26 avril - Volet 1 : “Le peu qui affleure encore”
Du 6 au 28 juin - Volet 2 : “Des bris du refuge”Paul Pouvreau a depuis longtemps l’ambition de donner à voir ce qui dépasse l’apparence. Faire surgir un alphabet de menus déchets trouvés sous les pas du regard; tortillions de fil de fer, brindilles, fragments de papiers qui aspirent à l’écriture. Collecte de philologue. Il serait le pendant de l’homme de Figeac sans sa pierre de Rosette. Un objet en révèle toujours une autre. Il masque pour démasquer. Il défigure, dévisage pour envisager. Du froissement de papier alu, d’un opercule de pot de yaourt ou de sacs en plastiques surgissent des masques, des végétaux Toutes ces manipulations fragiles nous disent que Paul est autre chose qu’un photographe. Il manipule ses motifs. Les masques ne sont pas simplement ce qui cachent. Portés au cours de rituels pour incarner des mondes possiblement autres et y donner un accès sensible. La photographie est ce médium (entendre ici le terme médiumnique aussi) qui permet la transformation d’un état du monde. Celui du réel vers son image et inversement comme par magie et enchantement « l’mage plus vrai que le réel ». Déjouant les hiérarchies de l’art (Baudelaire) les photographies de Paul Pouvreau se donnent, l’air de rien, des allures de sculpteur ou de peintre. Manière insidieuse de rappeler que ce médium advient historiquement après la peinture et la sculpture. Peut-être Paul est-il le poète paléophilologue du contemporain. Photographe du réel lorsque celui-ci se cristallise tautologique en représentation de lui-même. Je suis ce que je suis et l’affirme. A y regarder à deux fois, la cristallisation provoque la subduction de couches visuelles et de mini séisme qui fracturent l’évidence. Emblématique de la méthode: à l’arrêt sur un parking vide un semi-remorque véhicule sur son flanc l’image de lui-même. Je suis un transporteur, je transporte. En abyme mon image de camion sur une route ruban rouge. GAGNE écrit sur l’arrière et le flanc. La route borde un champ dans lequel des balles cylindriques de paille semblent accompagner la dynamique du transbordement vers le point de fuite, celui de GAGNE. A malin malin et demi, Paul Pouvreau sait débusquer et renverser ces évidences. Ici s’affirme la circulation des images et leur mise à plat. Perspective non illusionniste . Plutôt mise en épaisseur de la surface. L’image du réel, l’image dans le réel et la photographie comme image elle-même; tous ces plans au même niveau avec la même importance. On peut se risquer à penser en re-revoyant ses photographies que leur ambition est une tentative de représenter un paradoxe.
Monet construisit son paradis floral, il anticipa l’acte de peindre. De même Paul élabore, triture, assemble de la matière. Il construit son motif inscrit dans une longue tradition de la fleur artificielle : celle du pastillage des fleurs en céramique, celle des fleurs en papier ou en soie. Pour Paul ses fleurs sont des mutantes issues d’une métamorphose de vils polyéthylène ou polypropylène. Il n’est pas simple arrangeur de bouquet pour peindre une nature morte. Bouquetier habile mais d’abord bouquetier de la lumière. Ses bouquets ne se déploient pas dans l’espace pour la simple satisfaction d’une bel arrangement, ils sont avant tout des capteurs de temps; celui de « l’instant exact » (Monet). L’artiste place avec soin son sujet, la prise de vue s’effectue à l’instant où la lumière révèle sa capacité maximale à rendre justice aux choses. Parfaitement identique à elle-même pour chaque éclairement. Cet instant exact est celui d’un temps producteur d’espace. Paul a cette intuition de la lumière qui permet de déclencher la prise de vue à la seconde juste. Les plantes sont sensibles à la photopériodicité. Ses bouquets ne s’épanouissent qu’à cette condition en magnifiques et séduisantes floraisons. Jardinier de la lumière dont les fleurs sont insensibles au florigène. De manière implicite ces floraisons séduisantes anticipent un devenir possible du vivant. L’extinction de la floraison des plantes est le chemin de l’extinction du vivant. Il ne restera plus à contempler que ces avertissements fleuris. Ils sont les signes avant-coureurs d’une fin des corolles. Paradis artificiel dans lequel les fleurs tout affriandantes qu’elles soient s’avèrent vénéneuses à y bien regarder. Un objet peut en cacher un autre. Ces objets n’auraient d’autre parfum que celui de la mort. Belles fleurs sans flétrissement possible seulement un empoussièrement et une décomposition en fines particules polluantes. A l’image même de notre époque séduisante et immortelle dans l’instant. C’est sans doute en cela qu’elles sont si touchantes ces natures mortes.
A l’exact opposé, les dessins de Paul sont nocturnes. Les fleurs enserrées dans une saturation de traits jusqu’à les noyer dans un filet, étouffées par ce réseau graphique Saisir le vide qui les enserre et les sépare d’une autre. En quelque sorte le négatif de la lumière. Une lumière épaisse , pâteuse et sombre comme un envers de sa lumière blanche a son apogée. L’aube (alba) de la couleur est le blanc racine de toutes les couleurs après la nuit. Les dessins de Paul seraient ce démembrement du blanc. Face claire et sombre d’un même élan. Paul ne voit l’espace que plein. En chirurgien du regard avec une incision délicate l’artiste nous soulage de notre cataracte. Le monde ne s’offre plus dans un temps plat et frontal ; plusieurs temps coopèrent et ouvrent des aspérités anguleuses et multiples.
«… Le rose même disparaissait, il n’y avait plus rien à regarder », Marcel Proust - A l’ombre des jeunes filles en fleurs.Jean-François Demeure
Paul Pouvreau
18/09/2024 Mis à jour