Bruno, l'âne et les papillons
Festival du printemps de septembre à Toulouse.
« Pet parmi les aromates renverse bien des quilles » Henri Michaux, extrait de « La ralentie »
Quel sorte d’esprit malveillant a fait choir Bruno de son toit et m’a attiré dans cette aventure initiatique menée par Olivier Leroi ?
Un projet de cette nature génère généralement un peu de stress dans sa mise en place, son obligation, la juxtaposition des paramètres… Hé bien non, et c’est là la maestria de Maître Leroi qui agit, du moins avec ses proches collaborateurs, comme un amplificateur d’anti-stress. Attention, ça ne veut pas dire que lui n’en a pas, et évidemment, un projet de cette envergure n’est pas une partie de pêche aux bars dans la baie de Bourgneuf. Et pourtant… Moi c’est ce que j’appelle la classe et l’élégance. Tout se déroule dans un climat humaniste comme si le cœur même du projet était de se reconnecter simplement et généreusement avec les hommes et les femmes (trop peu présentes hélas sur ce parcours, sans doute ce mythe persistant de la ville sensée être plus sexy que la campagne entraîne-t-il encore de l’exode rurale).
Quand je parle de générosité, il n’y a ni forcing, ni obséquiosité, ni même de cahier des charges du comportement, ça se sent, il s’agit simplement d’être présent, d’être ouvert, débarrassé le plus possible des tracasseries personnelles de la vie. Bon c’est vrai que les conditions du rôle sont alléchantes : pas de texte, pas de chorégraphie, pas spécialement de personnage (même si moi, sur ce coup là, je me suis beaucoup inspiré du ministre des affaires étrangères des Pays Bas entre 83 et 87) Ayons le courage de le reconnaître, ce ne sont pas, pour un comédien, les conditions de l’intranquillité, d’ailleurs le titre de comédien n’est pas approprié pour cette œuvre, parlons de performeur ou plus sobrement de meneur d’âne.
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Donc encore une fois merci Bruno, j’ai fait un voyage de 75 km à travers des paysages somptueux, j’ai pu tester ma résistance au ralentissement, l’allure de ton grand Noir du Berry n’est en rien comparable avec ce petit pas de l’ânesse des Pyrénées. J’ai pu reconvoquer mon autorité auprès des équidés butés.
Merci à toi Fanny, docile et séduisant animal, de m’avoir laissé croire que je pouvais être ton maître. Ton regard mélancolique et ta vaillance ont largement effacé tes coups de bourrique.
Merci Chloé, star de légende, tu nous as fait vivre de fortes émotions. Puisses-tu encore vibrer longtemps dans le cœur de ton maître et même au delà. Tes exploits pourraient être élevés au rang des sagas si ton terrain avait été celui des fjords neigeux.
Je ne t’oublie pas Cindy, porteuse de nos embarras, Raymond Poulidord de la marche à deux ânes (il faudra quand même que tu m’expliques un jour où tu puises la force d’écouter à 40 cm de tes oreilles autant de conneries vociférées par ton maître).
Et toi René, le Roi René, je ne te dis pas merci mais Bravo. Dans cette quête de l’authentique, tu nous as tous coiffés sur le poteau avec une bonne longueur d’avance. Certes, tu es dans ton élément dans la campagne ariègeoise avec tes ânesses que tu aimes tant, mais il faut voir avec quelle assurance et quelle allure tu évolues dans ce milieu mondain et cireux des galeristes. Certes, par son espièglerie et sa jovialité, Olivier Leroi, franc tireur de l’art contemporain, nous met à l’aise et montre la voie, mais dans certains milieux où l’ignorance nous assaille, où n’importe qui se ferait discret, observateur, toi René le Roi, tu l’ouvres encore en grand, ta putain de grande gueule d’ariègeois braillard, et tu réussis ce tour de force à faire un petit buzz autour de toi ! Et devant cet auditoire constitué de femmes intriguées, de quasi momies, de statues de cire à la chevelure frisée et abondante, tu profères, la larme à l’œil, tes récits homériques, à base d’ânes, bien sûr. Quelle flamboyance !
Est ce que ta vie frustre et sauvage t’a orienté vers la grâce éternelle des ânes ? Quel est ton secret, honorable Obi-Wan Kenobi des ânes ?
Voilà, je ressors de cette aventure avec des interrogations mystiques. J’ai foulé la fraîcheur de l’herbe mouillée des chemins, j’ai caressé le velouté et la promesse des mousses, la dérobade du feuillage, j’ai respiré l’ivresse du chèvrefeuille, j’ai senti la morsure des orties. J’ai vu butiner et dormir des papillons d’Amazonie. J’ai vu un papillon déguisé en feuille d’automne et des phasmes déguisés en haricots verts.
J’ai rencontré des gens chaleureux et accueillants qui nous ont conviés à leur table et nous ont fait goûter des alcools improbables. J’ai rencontré un druide catholique qui distille des huiles essentielles, une danseuse qui signe en chorégraphie les runes viking.
J’ai porté une cravate vendue par un éleveur de papillons et j’ai marché longtemps aux côtés d’une ânesse obéissante sur les routes bucoliques de l’Ariège et de la Haute Garonne, mais aussi parmi des pavillons et des voitures pressées. J’ai vu dans les regards croisés, l’émerveillement, l’étonnement, l’indifférence feinte, la réprobation mal assumée mais surtout l’amusement.
Thierry Robard










