The Adjustable Ruins and the Twins
The Adjustable Ruins and the Twins est une installation in situ qui se parcourt comme un dessin à main levée. Pour reprendre l’expression de Paul Klee, « ce sont des lignes parties en promenade ».
Comme une pensée au long cours, cette installation, amorcée en 2016, est au fil des expériences et des expositions, augmentée et reformulée selon les lieux. L’ensemble est constitué comme un répertoire de formes et de volumes réalisé dans un questionnement spatio-temporel, entre vestiges figés dans le temps et composition spatiale en devenir.
C’est une équation à différentes variables architecturales dont la lecture se fait aussi bien par points reliés que dans le mouvement de la déambulation. La ligne est parfois réelle, parfois imaginaire. Elle échappe à une forme de classification. Les codes de l’architecture sont empruntés pour créer un système de ruines, enchâssées ici au sein de la chapelle.
Par cette organisation de structures bleues, apparaît un dessin dans l’espace de repères abstraits.
Celui-ci se déploie comme le quadrillage d’une fouille archéologique, la reconstitution de vestiges intégrés au dessin d’une construction supposée.
Je développe depuis plusieurs années une pratique du dessin liée à la notion d’espace.
Cette exfiltration de la ligne poursuit mon travail de construction par le vide.
Si les fragments, blancs en plâtre sculpté, posés au sol dessinent les pleins et les vides d’un hypothétique plan, les lignes bleu outremer suggèrent son élévation. Entre abstraction et mobilier, la structure offre un système cohérent mais dont les fonctionnalités restent à inventer.
Certains vestiges en plâtre préexistaient à cette formulation, d'autres éléments ont été réalisés par empreintes puis façonnés comme des micro-paysages. Ces reliefs apparaissent comme travaillés par une érosion accélérée. La mise en abyme du lieu dans le lieu opère un dédoublement, non sans rappeler la particularité des saints Dredeno, les jumeaux auxquels est dédié la chapelle de Saint-Gérand.
Claire Trotignon
Je connaissais peu l’événement lorsqu’Éric Suchère m’a proposé, en 2018, de prendre part à L’art dans les chapelles. Rapidement, j’ai découvert un historique protéiforme et dense laissant deviner une expérience de création in situ intéressante.
À cette période, je préparais une installation, de l’ordre de la partition pour Le Plateau (FRAC Île-de-France) : « Primo piano and the leftovers », une succession linéaire d’éléments géométriques, de plâtres sculptés, peints, combinés, posés. Je travaillais également sur une nouvelle série de dessins « Action, Antico », de petits collages « métachroniques » composés comme des scènes de plateau de tournages de films greco-californiens.
En prenant part à l’événement, la seule recommandation était naturellement d’attendre la découverte de l’espace pour ébaucher une intention. Trois mois passèrent avant que je ne visite la chapelle Saint-Drédeno à Saint-Gérand.
De l’extérieur, les blocs de pierres grisâtres s’empilent en une petite bâtisse trapue. En passant la porte rouge du transept, un volume extrudé et blanchi s’élève dans une atmosphère minérale. Elle est parfaite. Dans cette chapelle, la nef et le transept sont quasiment plein cintre, la voute et les murs filent lisses jusqu’au sol quadrillé d’ardoises disparates et érodées. L’arc et la grille, étaient les deux formes élémentaires qui persistaient à mes yeux. Le statuaire polychrome contrastait dans ce « white cube » malgré le temps orageux.
Sur le trajet du retour, je profitais des quelques heures de train et du souvenir encore intact de ma visite pour dessiner et noter des idées. Le salpêtre sur mon sac me rappelait d’exclure tout projet de dessins ou de collages qui s’altèreraient, cela confirmait également ma volonté de réaliser une installation. Éric me l’avait proposé. Nous avons décidé de reporter d’un an ma participation, ainsi je pouvais prendre le temps de penser en volume et mener à terme un autre projet en cours qui demanderait neufs mois.
L’atelier, les engagements et les expositions se succédaient et façonnaient mes intentions pour la chapelle.
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Le projet dans sa globalité impliquait comme à chaque fois : le raisonnement de l’œuvre, la réalisation, le transport, le stockage et l’impact environnemental à travers ces quatre champs. L’attention épisodique mais au long court portée sur cette installation m’a offert un point de vue inhabituel sur ma pratique.
J’ai alors pris conscience que je recréais, depuis trois ans à travers la sculpture, le même processus qui s’était développé dans ma conception du dessin. D’ordinaire, mon instrument privilégié est le scalpel que j’utilise tel un crayon. Je travaille souvent en préparant des planches de fragments de gravures, elles m’évoquent des palettes.
Parallèlement, au fil des projets, je constituais un répertoire de formes en plâtre, taillé, sculpté, brisé en fonction des aléas de la matière, du lieu, de l’outil, du caractère architectural ou géologique que je souhaitais apporter. Cette perception procurait l’effet de créer, non pas comme la nature, mais à la manière de la nature, en considérant, par exemple, les phénomènes d’érosion, de stratification ou de gravité. Depuis quelques mois je construisais donc une collection de volumes qui progressivement prenait les airs d’une véritable gypsothèque.
En voyant cet ensemble se dessiner, j’ai eu l’envie d’en réaliser deux versions utopiques sur papier.
Gypsothèque et New Gypsothèque représentent des édifices muséaux en creux dans le blanc de la feuille, suggérant les frontières de la valeur institutionnelle apportée à une entité historique. Dans ces compositions, trois arches au fond bleu désignent les ouvertures des bâtiments suggérés. Ces trois aplats géométriques plein-cintres contrastent et se distinguent du reste de la composition sur fond blanc.
J’ai pu saisir, dans ces deux dessins, l’impulsion plastique recherchée pour mon installation. Des lignes de forces de couleur vives dessineraient en creux dans l’espace calcaire et mettraient en relief mon lexique de formes vestigo-geometriques en plâtre. Le phénomène de disparition optique du plâtre blanc sur les murs de chaux serait en lui-même une forme d’érosion visuelle.
La ruine a toujours été présente dans ma pratique, c’est une notion en tension entre sa matérialité physique et l’immatérialité de ce qu’elle suggère. Alain Schnapp évoque la ruine comme un fragile équilibre entre la trace laissé en creux (« ichnos » en grecque) et l’écroulement (« ruera » en latin). Cette conception invite à penser la ruine en mouvement sous une forme cyclique du retour de la culture à la nature. Ce concept résonne avec la nature sensiblement post-apocalyptique de mes compositions.
Ici, je voulais suggérer un espace dédoublé par le vide, dédoublé sur lui-même, maintenu par une dynamique paradoxale d’expansion de la matière par la prolifération des éléments artefacts créés et une chronologie à rebours face à l’esthétique du débris et de la ruine employée. Les lignes de force bleues joueraient abscisses et ordonnées tandis que les volumes sculpturaux seraient le curseur chronologique, dans une conception du temps à la fois cyclique et linéaire. Ainsi le déplacement dans l’espace activerait simultanément un dessin mental spatial et temporel au point par point comme dans une forme de linéarité.
Il était finalement bien question d’un arc et d’une grille.