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Brouillon Général

Musée des Beaux-Arts, Angers, 2016-2017

Déposition, Musée des Beaux-Arts, Angers, 2016.

« Raviveurs de mémoire, capsules de souvenirs, certains objets servent de support à notre vie intérieure, comme s’ils avaient le pouvoir presque magique d’éclairer une zone sensible enfouie en nous, comme s’ils savaient intensifier des foyers d’histoires et des réminiscences diffuses.

L’artiste Peter Briggs produit de tels objets, à la localisation spatiotemporelle incertaine, qui exhortent la mémoire et la court-circuitent, à la croisée de mythologies personnelles et culturelles. Au musée des Beaux-Arts d’Angers, il plonge le visiteur dans un univers foisonnant de polarités conductrices : de la porcelaine, du verre, des feuilles de latex, des costumes découpés, des livres et des coquillages perforés, des blocs de marbre, des pavillons de cuivre, un écran de projection couvert de peinture noire… « Ces éléments sont venus à moi, explique l’artiste, j’en ai cherché certains, d’autres me sont venus tout seuls. Ils ont une chose en commun, c’est de n’être nullement vierges. Ils sont tous d’une certaine manière de seconde main. C’est-à-dire qu’ils ont acquis une amorce de qualité auratique, une prédisposition sculpturale tout au moins, une qualité de possible. Incorporés, enrôlés, avec le temps ils deviennent progressivement miens avec différentes séries de logiques d’accumulation et parfois de déconstruction qui finissent par former un faisceau de récits qui s’entrecroisent puis se nouent¹ ».

Déposition, Musée des Beaux-Arts, Angers, 2016.

Déposition, Musée des Beaux-Arts, Angers, 2016.

Déposition, Musée des Beaux-Arts, Angers, 2016.

Cette exposition compose, avec maestria : de ce qui pourrait demeurer à l’état de fatras, l’artiste parvient à extraire une vaste épopée de la matière mise en espace, une épopée pleine d’accidents et de cassures de rythme, d’incarnations qui suspendent le souffle comme les plus anciens récits de genèse. Si la palette s’avère relativement restreinte (noir, blanc et argent, ainsi que la gamme des bruns organiques), l’extrême diversité des textures de surface subjugue l’œil. Deux dispositifs servent efficacement cette mise en récit des forces-matériaux² : la monumentale installation Déposition, au rez-de-chaussée, qui adopte une partition spatiale proche de celle du magasin, où l’artiste aurait entreposé ses stocks au sol. En même temps qu’il nous montre ses trésors, il préserve leur secret car on ne peut pas circuler entre les différents îlots, précisément composés, comme autant de microarchitectures pleines de surprises visuelles, où çà et là on surprend des clins d’œil à Rodin, Brancusi ou Jean-Michel Sanejouand et ses charges-objets. À l’étage, Peter Briggs revisite Shelf Life, outil générique et évolutif que l’artiste déploie sous vitrine, sous la forme d’une longue étagère, espace contraint de mise en relation, coordination et information des objets. D’une autre manière, l’artiste nous maintient à distance tout en nous permettant une intimité accrue avec les objets, d’échelle cette fois-ci plus modeste.

Embarqué dans un travelling captivant, qui alterne ready made naturel, sculpture par assemblage ou modelage primitif, le visiteur constate à quel point Peter Briggs sait conférer à chaque objet une sorte de majesté mystérieuse, encore sublimée dans le dispositif d’accrochage. Tout tient aussi grâce au corps, omniprésent quoique en creux. Dans le poing qui serre la matière, le bras qui casse la céramique pour mieux la réagencer selon des logiques plus sauvages, dans l’alignement des costumes perforés, on devine un rapport physique en tension, des chorégraphies syncopées, une sensualité rêche.

Cette intensité de présence du corps (celui – exhibé – de la matière, celui – suggéré – de l’artiste) semble inséparable de la question du reflet, de la vitrine qui protège, du miroir déformant ou empêché, qui hante l’exposition : le corps de l’autre ? Le regard érotisé et revitalisé par ces multiples surfaces projectives ? »

Extrait de la chronique d'Art contemporain, Atteindre son objet d'Éva Prouteau.

Shelf Life, Musée des Beaux-Arts, Angers, 2016.

Shield, acier émaillé et verre thermoformé argenté, 2001-2003.

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Vues de l'exposition personnelle Brouillon Général, Musée des Beaux-Arts, Angers, du 19 novembre 2016 au 26 mars 2017. Photographies de © Albert de Boers.

© Adagp, Paris