Empreinte du reste, volume du manque
Lilian Froger
À première vue, Paul Pouvreau n’est pas quelqu’un de difficile. Pour concevoir ses photographies, nul besoin de faste ni de grandiose, il se contente d’espaces anodins souvent jugés comme peu dignes d’intérêt, tels que les chantiers, les trottoirs, un grenier ou les abords de zones commerciales. Les objets qu’il met en scène sont tout aussi ordinaires pour ne pas dire quelconques : des tables, des chaises, des cartons, des journaux. À partir de ces éléments, il construit des images humoristiques sur lesquelles on en vient pourtant à buter, comme si quelque chose faisait obstacle. La confusion naît des élans contradictoires qui sous-tendent ses photographies : réalisées avec des matériaux modestes mais avec une très grande minutie, drôles mais teintées d’une certaine gravité, toujours sur la ligne de crête entre d’un côté le sérieux et de l’autre le burlesque. En cela, le travail de Paul Pouvreau se rapproche des films du comédien et réalisateur américain Buster Keaton, qu’il affectionne particulièrement. On y retrouve le même sens du déséquilibre et de la surprise, un même penchant pour l’incertitude.
Depuis les années 1990, ses photographies sont peuplées de cartons, d’affiches (souvent publicitaires) et de sacs plastiques, qui portent en eux les traces de la société de consommation. Ce sont à la fois les contenants des marchandises, les emballages qui servent à les transporter ou bien les supports destinés à en faire la promotion. L’artiste en conserve les signes (les logos et les noms des marques sont facilement reconnaissables), tout en leur donnant une nouvelle forme. Ils deviennent alors des bouquets de sacs plastiques dans la série Les Invasives (2018), ou bien des maquettes de cités idéales construites en briques de jus de fruits et en paquets de biscuits secs dans la série Archi-comble (2011-2012).
La simplicité du travail de Paul Pouvreau n’est toutefois qu’apparente. Il s’appuie en effet sur des recherches et des repérages précis, où le cadrage est essentiel. C’est grâce à lui que l’artiste parvient à réunir sur une même image des éléments placés sur différents plans, créant par la même occasion des juxtapositions porteuses de sens. Des éléments imprimés sur des affiches ou des panneaux se trouvent ainsi directement accolés à des morceaux du paysage réel, certaines lignes se prolongeant d’un élément à l’autre. Rappelant les explorations visuelles menées par Luigi Ghirri dans l’Italie des années 1970, les photographies de Paul Pouvreau sont de la même manière régulièrement conçues en rapprochant différentes surfaces, comme des strates qui se superposent.
L’exposition Empreinte du reste, volume du manque rassemble une cinquantaine d’œuvres de Paul Pouvreau, datant de la fin des années 1990 à aujourd’hui, proposant à la fois un cheminement parmi les images et dans les images elles-mêmes. Grâce à ce large éventail de sa production, on perçoit de quelle manière l’artiste rejoue avec ses photographies certains genres majeurs de l’histoire de la peinture (la nature morte, le paysage) ou principes esthétiques de mouvements artistiques du XXe siècle (le pop art, l’art conceptuel). Il en donne des versions pour ainsi dire bricolées, sans être dans l’imitation ni la parodie. Que ce soit dans ses dessins – où il retravaille des pages de journaux et des dépliants publicitaires par remplissage – ou dans sa nouvelle série photographique où il transforme par des jeux d’échelle et de lumière des sacs plastiques en d’éloquents masques de tragédie grecque, c’est toujours le même plaisir de faire qui l’anime. C’est ce plaisir de la fabrication qui lui permet de donner corps à des pensées et des formes, aussi fragiles soient-elles en apparence.