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Portraits de situations

De la désinvolture

Depuis 1994, le monde de Paul Pouvreau, plus précisément, l’univers diégétique qu’il pose au gré des photographies, se déploie dans des espaces de nature et d’échelles variées, parfois si réduits que l’on ne devine guère qu’un bout de table, une partie de mur, quelques arbres abord d’un chemin, etc. Les scènes se tiennent dans des coincée fabrique ou d’atelier, des espaces domestiques sobrement aménagés, des fragments d’espaces urbains, quelquefois des paysages plus caractérisés mais choisis, semble-t-il, pour l’aspect curieux qu’ils présentent une fois photographiés. Ce monde où l’homme n’apparaît que de façon épisodique, est peuplé, pour l’essentiel, d’objets et de matériaux attachés au flux de marchandises : cartons, sacs plastiques, pages de journaux ou de magazines et autres matériaux d’emballage ou de conditionnement, dont la plupart affichent à leur surface, grossièrement imprimés, dessins, pictogrammes, photographies, logos, indications d’usage ou mentions publicitaires. Souvent l’agencement des mises en scène, le cas échéant, la présence et les gestes de l’homme, semblent subordonnés à la visibilité, mieux, à la lisibilité de ces formes graphiques. Dans Le Navigator (1999), par exemple, l’abribus, telle une vitrine, apparaît comme une structure d’exposition adaptée au logo inscrit sur le carton que porte l’homme. En fait la construction des photographies de Paul Pouvreau joue souvent de ces deux modes d’exposition des marchandises que sont la vitrine et l’étalage. Le spectateur est ainsi invité à examiner avec attention des formes mimétiques et des inscriptions qu’il dirait volontiers insignifiantes - dans tous les sens du terme puisque leur mise en relation dans les images l’invite souvent à improviser une sorte d’herméneutique, que certaines oeuvres, comme Le Fossé (1998) ou Eve (2003), rendent assez complexe. Cette attention portée à des représentations insignifiantes rappelle Raymond Roussel et ses étranges exercices de description-narration d’une étiquette de bouteille d’eau minérale, d’un papier à lettres d’hôtel ou d’une carte publicitaire de chapelier. Dans ces poèmes, comme dans les scènes de Paul Pouvreau, c’est la hiérarchie des valeurs d’exposition qui est dissoute. Elle craque sous le coup de la distorsion trop grande entre la pauvreté de l’objet et l’investissement de l’attention qui lui est portée. La valeur de la marchandise mise à nu par son emballage, même; ainsi pourrait-on décrire cette opération en suivant l’hommage détourné que l’artiste rend lui-même à Marcel Duchamp dans Le Porte-bouteille (1998). Photographie où, littéralement, l’emprise des choses sur l’homme apparaît comme une conséquence de la crise de la valeur d’exposition. Le ready-made, en effet, en fût l’une des premières expressions critiques dans le champ de l’art. 

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Entre la mise à nu de la valeur et l’enveloppe de la marchandise se profile l’un des gestes essentiels - l’esthétique même - de l’oeuvre de Paul Pouvreau, celui de la désinvolture. En effet, l’étymologie du terme désinvolture (formé d’après l’italien involto, « enveloppé », « empaqueté ») décrit précisément l’extraction d’un objet de son enveloppe, laquelle signification peut trouver un prolongement dans le sens figuré d’un refus de se laisser prendre à un jeu, de défaire le caractère d’évidence d’une situation, d’une chose, d’un système, tel celui de la valeur, ici, chez Pouvreau. D’où cette tension d’une grande efficacité, entre l’absence de la valeur des matériaux d’emballage et la valeur extrinsèque des grands tirages couleurs d’un fini publicitaire qui en sont les vitrines. 

En outre, la désinvolture, dans son sens courant, est l’une des caractéristiques constitutives de l’ignorant. C’est parce qu’il est intrinsèquement disposé à cette manière inhabituelle d’être dégagé dans ses attitudes, dans ses mouvements, libre, d’une liberté face à la technique, aux usages et aux lois du métier, que le modèle franchit aussi aisément la limite de la représentation pour en révéler, in fine, le dispositif, les rouages, bref, la machinerie tant physique que mentale. Une telle désinvolture agit comme une humeur diffuse dans l’ensemble de l’oeuvre de Paul Pouvreau.  Parfois, on croit cependant la discerner chez l’homme qui, tour à tour, bivouaque devant un paysage en poster, La Légende (1996), demeure étendu sous une table au milieu d’une cuisine envahie d’ustensiles Sans titre (1999), ou tend un lé de papier peint devant un mur de briques. Geste emblématique de L’Entreprise (1997) qui met en scène et inclut la situation du spectateur d’une manière qu’il faut encore préciser. Car si, par dérision, ce geste réduit le regard de ce dernier à l’évaluation de l’ajustement d’un élément de décor, dans le même temps, il amorce ce déplacement de la théâtralité vers l’espace d’exposition que l’artiste met en oeuvre depuis 1999, comme s’il rejouait, dans des termes plus complexes, l’expérience de l’installation Transfert (1980). 

En effet depuis cette date, des architectures de cartons - vierges de toute inscription et fraîchement sortis d’usine ceux-là - figurent à la fois dans certaines photographies et au milieu de l’espace d’exposition, à proximité des épreuves, dont certaines sont parfois incrustées à la surface de ces constructions. Le spectateur se découvre ainsi au milieu d’un mouvement de contamination réciproque du dedans et du dehors de l’image qui n’a rien d’une invitation à la traversée du miroir. À considérer l’ambiguïté entre oeuvre et vue d’exposition qui caractérise des photographies comme Le Bureau (1999) et La Façade (2000), cette situation invité plutôt à réévaluer le statut des images par rapport à la notion d’oeuvre, bien instable ici, en définitive. D’autant que les structures de cartons existent que le temps de leur exposition. Absentes au catalogue des oeuvres de l’artiste, elles ont la singulière fonction de prolonger les photographies, comme si elles en étaient, en quelque sorte les prothèses d’exposition. Mais des prothèses dont la fonction est pour le moins ambivalente puisqu’elles rendent visibles autant qu’elles occultent et contribuent efficacement défaire l’évidence du support photographique. C’est-à-dire à pointer son enveloppe de facture publicitaire devenue aujourd’hui, sur le scène de l’art, une norme, une valeur esthétique. 

Extrait de Le même en personne. Notes sur une esthétique de la désinvolture. par Emmanuel Hermange dans Paul Pouvreau aux Éditions Filigranes, 2005. 

paul pouvreau documents d'artistes centre val de loire

Le Porte-bouteille, 1998, 140 x 105 cm

Le magazine des jours
Exposition personnelle au Centre Photographique d’Île de France, 2019

Sans titre, 1999, 90 x 130 cm

La tête dans les étoiles, 1997, 125 x 85 cm

paul pouvreau documents d'artistes centre val de loire

Activités, 2002, 120 x 85 cm

L'homme invisible, 1998, 41 x 34 cm

Les fils, 1999, 140 x 104 cm

L’enseigne, 1999, 140 x 95 cm

La télé, 1999, 116 x 146 cm

Le pantin, 2003, 120 x 102 cm, collection particulière

L’entreprise, 1997, 115 x 155 cm, collection particulière

La coupe, 1997, 115 x 155 cm, collection Frac Basse-Normandie

Le navigator, 1997, 115 x 155 cm, collection particulière

Le doute, 1997, 120x155 cm, collection particulière

Colonie, 2018, 80 x 120 cm

Souffler n'est pas jouer, 1998, 115 x 155 cm

Headache, 1997, 115 x 145 cm

Le modèle, 2001, 140 x 104 cm

L’opération, 2000, 95 x 145 cm, collection Frac-Artothèque Nouvelle-Aquitaine

Coup de vent, 1998, 114 x 155 cm

Camouflage, 2002, 85 x 125 cm

The dream, 2002, 105 x 150 cm

paul pouvreau documents d'artistes centre val de loire

Le guet, 2002, 120 x 150 cm

paul pouvreau documents d'artistes centre val de loire

Le garage, 2002, 120 x 140 cm

Eve, 2002, diptyque 2 X 120 x 82 cm

Beau jeu, 2000, 80 x 120 cm

Le cadeau (Mirande), 2008, 93 x 133 cm

Coup de point, 2002, 100 x 135 cm