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Hygiène corporelle

1998

" L'amant : Avec L’hygiène corporelle, sous-titrée pour une anthropologie de l’homme moderne tu mets en place une pratique plus sociologique qui peut rappeler celle de Michel Journiac, lorsque il se photographie, travesti, mimant les moments types de 24 heures de la vie d’une femme ordinaire.

Laëtitia Bourget : En effet, ce travail est très proche de l’œuvre de Michel Journiac qui, en utilisant le travestissement pour parodier les clichés des magazines féminins, exerce une critique des modèles sociaux (la femme au foyer, le mari,...), ces identités prêt-à-porter qu’il refuse d’adopter, ces normes responsable de l’intolérance face aux différences, de l’exclusion qu’il a vécu en tant qu’homosexuel.
Ici ce qui est mis en évidence, une fois encore, c’est la manière dont nous effaçons notre nature organique en exécutant quotidiennement un ensemble de rituels pour maintenir notre corps ‘‘comme neuf’’ (la chasse au ‘‘sale’’ : les odeurs, les poils, les points noirs, les nœuds dans les cheveux...) ; une réactualisation des propos d’Artaud, dans Pour en finir avec le Jugement de Dieu, lorsqu’il dénonce un « certain nombre de saletés sociales », avec pour projet de travailler au deuil progressif de l’interdit et du refoulé de la vie organique.
Cette vidéo serait une sorte de document (fictif) pouvant faire l’objet d’une analyse sociologique autour de l’hygiène quotidienne d’un individu quelconque, ayant parfaitement intégré une éducation caractéristique de notre société occidentale industrielle. On peut y observer des comportements types, voire complètement stéréotypés par la quantité d’images, notamment publicitaires, qui les reproduisent, la ritualisation des différentes étapes (leur chronologie, leur durée, leurs instruments particuliers, leur lieu...), afin d’en comprendre le sens, la raison première puis sous-jacente : les principes pratiques, médicaux, moraux, esthétiques,...

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Ce travail est à situer dans ce contexte de l’illusion actuelle d’un corps libéré, dont je parlais tout à l’heure, qui était justement recherché par les artistes corporels tels que Journiac à travers leurs interventions, mais auquel nous ne sommes pas parvenus, au contraire. Le développement de la consommation des produits consacrés à l’hygiène ( qui paradoxalement polluent notre environnement, et dont les déchets envahissent les plages : déodorants, couches culottes, tampons, bidons divers, flacons de shampoing, tubes de crème, gants de caoutchouc, éponges,...), la standardisation des aménagements, le nombre d’accessoires spécifiques et de produits pour maintenir notre corps et son environnement propre et beau, nous montrent que nous n’avons fait que renforcer le conditionnement de notre corps, plus particulièrement dans sa plus grande intimité, la plus douteuse aussi (l’hygiène étant reconnue comme une nécessité universelle, elle est incontestable) et par là même, ancrer plus profondément encore dans l’inconscient les valeurs que ces pratiques illustrent. L’hygiène corporelle est, comme le langage, un ensemble d’automatismes qu’il est nécessaire d’acquérir pour être reconnu comme un individu sociable, voire comme un être humain. Et si nous sommes parvenus à lever certaines conventions dans notre relation à l’autre, la relation à soi est plus délicate, car c’est avec notre propre corps que nous entretenons de la méfiance. L’importance du cadre médical, la peur des maladies (comme le SIDA...) fait que nous nous surveillons avec d’autant plus d’attention que nous ne pouvons plus ignorer le danger. Comment peut on parler même de libération sexuelle à l’heure où le SIDA rétablit une forme de punition de la sexualité illégitime ? A l’heure où tout doit demeurer hygiénique et plus particulièrement notre vécu le plus intime ? Nous avons peur du corps des autres (et ceux qui y résistent ne tardent pas à être culpabilisés : « Quoi, tu n’as pas pris de précautions ? »), mais surtout, peur de notre propre corps que l’on sent exposé et vulnérable.
La vidéo rend compte de cette observation en intégrant aux séquences des petites phrases types qui peuvent nous rappeler l’éducation des parents, comme les conseils médicaux, les messages publicitaires, les notices d’emploi, les codes de bienséances... autant de sources d’information qui déterminent nos comportements. L’insertion de ces phrases produit un effet humoristique lié à leur décontextualisation, au décalage entre leur légèreté et la lourdeur du sens qu’elles véhiculent."

Extrait De l'intime au social, maîtrise d'Arts Plastiques de Laëtitia Bourget, 1998

L’hygiène corporelle : pour une anthropologie de l’homme moderne, avril 98
Vidéo 9’, support Bétacam

L’hygiène corporelle : pour une anthropologie de l’homme moderne, avril 98
Vidéo 9’, support Bétacam