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Florence Chevallier

propos recueillis par Samantha Barroero

"Imaginez un travelling en arrière. Au début je montrais mon corps, puis mon visage, puis l’autre avec moi dans le cadre".
Cette citation de Florence Chevallier, extraite d’un entretien datant de 2001, pourrait être prolongée.

Le cadre s’est ensuite peuplé des “autres”, sa présence dans l’image se faisant plus rare. Le paysage s’y est également développé, puis les sujets se sont fragmentés… Si formellement, l’œuvre de Florence Chevallier semble se constituer par des ruptures - Le passage du noir et blanc à la couleur, le renoncement progressif à l’autoportrait… - l’essence de la démarche demeure. La photographie révèle l’univers intérieur de l’artiste, incarne l’espace où peut se jouer le théâtre de sa psyché. « La photographie est indissociable pour moi de l’avènement de la psychanalyse et de l’apparition de l’album de famille. Elle permet d’enquêter sur soi sur sa filiation, sur le monde, ce qui nous relie et ce qui nous sépare. Comment le monde et soi-même interagissent dans une impossible fusion, car le regard distancie notre rapport au monde et à nous-même, il révèle et met littéralement sous nos yeux, l’étoffe dont nous sommes faits. »

En 1985, quelques années après l’obtention du diplôme de l’Institut d’Etudes Théâtrales de Paris, Florence Chevallier cofonde le groupe Noir Limite avec Jean-Claude Bélégou et Yves Trémorin. Tous trois s’opposent à la dichotomie scindant la photographie à la fin des années 1980 : d’un coté un photojournalisme prépondérant et de l’autre une photographie utilisée comme simple outil par les artistes. Leur recherche commune, nourrie par une pratique individuelle, s’articule autour de thèmes existentiels : la vie, la mort, l’amour, et leur interdépendance. A cette période, les images de Florence Chevallier représentent des corps pris en étau entre la dualité de leurs pulsions, des enveloppes charnelles en proie au désir et arrimées à leur condition humaine (Corps autoportraits, 1980-1986 ; Corps à Corps ,1987 ; La Mort ,1989).

En 1993, Le Bonheur, série de 38 photographies en couleur, plonge dans une mise en scène de l’intimité d’un couple, chaque personnage devenant une figure allégorique de la solitude consentie. Les décors, l’utilisation de la lumière ou encore la statuaire des sujets, attestent d’une inscription dans l’histoire des images, de la peinture au cinéma.

Le Commun des Mortels (1995-1998) entame un nouveau cycle où la dimension narrative s’estompe pour laisser place à un récit fragmenté. Les sujets sont isolés ; les plans se resserrent et mettent en vis à vis des détails de paysages parcellaires et de corps animaux et humains. Les sujets refusent d’être englobés par le cadre, ils s’en échappent inévitablement. L’Enchantement (1996-1998) pousse la fragmentation de l’image à son extrême et renoue avec le thème de la solitude, dans un décor digne du jardin des délices. Les séries 1955, Casablanca (2000) et plus récemment Toucher terre (2010) témoignent d’un profond intérêt pour le paysage, toujours dans une volonté de révéler, à travers lui, des indices autobiographiques.

La chambre invisible (2005) exposée ici, laisse entrevoir une analogie avec La mort (1987), premier travail en couleur de Florence Chevallier. Dans cette série, l’artiste se mettait en scène, étendue sur son lit de mort, interprétant plusieurs icônes féminines illustres et fantasmées. Ces images trouvent d’ailleurs un écho dans l’histoire de la photographie, retraçant les contours du fameux Autoportrait en noyé d’Hyppolite Bayard. Dans La chambre invisible, le corps de la femme n’a pas disparu. S’il est matériellement absent, l’étoffe s’est substituée à lui, encourageant des interprétations polysémiques. A tour de rôle ou conjointement, ces images évoquent pour Florence Chevallier « le lieu intime de la conception, le corps féminin métaphorisé par le vêtement entre douceur et violence, cassures, vie et deuil, métamorphoses humain/animal, êtres et fantômes, caverne utérine où se jouent les premiers drames et les premiers conflits. »

© Adagp, Paris