1955, Casablanca
Série de 30 œuvres
Tirages photographiques couleurs satinés
3 diptyques 100 x 200 cm contrecollés sur aluminium et plastifiées
Encadrement caisse américaine en bois teinté
7 diptyques 60 x 120 cm contrecollés sur aluminium
Encadrement caisse américaine en bois teinté
7 photographies 100 x 100 cm contrecollées sur aluminium
Encadrement caisse américaine en bois teinté
13 photographies 80 x 80 cm contrecollées sur aluminium
Encadrement caisse américaine en bois teinté
Tirages limités à 5 exemplaires
Casa mon amour
Vous trouvez sans doute ces images mélancoliques… N’y voyez pas le signe d’un quelconque regret de ma part concernant le passé. Ne cherchez pas à voir les vestiges d’une splendeur ancienne regrettée… Vous feriez fausse route. La mélancolie n’est pas la nostalgie, et si vous connaissiez mes précédentes photographies, le Bonheur, l’Enchantement, les Songes, des Journées Entières, Communs des Mortels ou les Philosophes, vous retrouveriez cette même mélancolie à l’œuvre dans les regards des personnages, dans les lumières chargées d’ombre, dans les thèmes et les titres même, comme une valeur poétique et musicale, porteuse de mythes positifs et d’une inévitable tristesse.
Quand je suis face à la mer à Casablanca, je suis la petite fille qui joue, et nage dans les piscines du Kon Tiki, du Sun Beach et du Miami, avec mon frère, ma mère et ma grand-mère. J’aime l’eau, le soleil, la plage, les cris, les jeux... En arrière plan, dans mon cœur, celui que je guette au loin, derrière les constructions de béton, au delà des architectures colorées, au point d’horizon où se lie le ciel et l’océan, c’est mon père. Disparu, reparti sur le continent après un suicide manqué et une guérilla politique désespérée, et dont je ne saurai plus rien, jusqu’au jour où je le recherchais : j’avais 33 ans.
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Je vous ai montré, dans d’autres séries photographiques (celles pré-citées, entre-autres), le tumulte de mon âme, ses aspirations, ses croyances, ses douleurs, ses fictions salvatrices ou destructrices. J’ai toujours construit mon monde intérieur par la vision: voir, regarder, montrer est mon credo. Mon corps fut l’axe majeur de cette recherche, depuis les Nus Autoportraits en 1979, les visages de Troublée en Vérité , les Corps à Corps et enfin la Mort, en 1989. Depuis 1995, je ne figure plus dans mes images et l’espace s’est élargi. Le corps a cessé d’être cadré au plus serré, dansant avec Eros et Thanatos. La Nature est devenue une figure essentielle, un lieu symbolique pour exister dedans, dehors- une source.
Octobre 2OOO. Je retourne apaisée, dans cette ville qui m’a vue naître (cette expression toute faite est merveilleuse !). Casablanca m’a vue naître, donc, et m’a donné toute l’énergie que je souhaitais recevoir pour vivre. C’est la culture mélangée des arabes, des espagnols, des juifs, des italiens, et des français que j’ai côtoyé, de familles en familles, de maisons en maisons qui m’a nourrie au sens propre comme au figuré. J’ai toujours été une fille d’adoption, une invitée, et je prenais tout ce qu’il y avait à prendre, jusqu’au moment où l’on me signifiait qu’il était l’heure de partir.
Les personnages qui peuplent le livre représentent une part de ces hôtes bienveillants auxquels je reste attachée à tout jamais.
Les péripéties dramatiques de ma famille, ont toujours trouvé un contre point salutaire dans ce pays qui nous a accueilli. Il a forgé mon imaginaire et lui a donné cette qualité particulière en forme de mosaïque, où selon Henry James La figure dans le Tapis, il faut avoir fini l’ouvrage pour en connaître le motif, le dessin secret.
Voilà, mon tapis est tissé, la figure manquante reconnue et acceptée.
Face à l’océan, les piscines, les plongeoirs, sont solides malgré l’atteinte du temps ; leurs couleurs puissantes emplissent le cadre et montrent à quel point l’architecture construit aussi notre regard jusqu’au plus profond de notre chair.
Florence Chevallier
























Vues de l'exposition 1955, Casablanca, Villa des Arts Casablanca, Maroc, 2009
« Les images inédites que Florence Chevallier ramène, cet automne, du Maroc, sont touchées par la grâce. Comme si le pacte avec la lumière, depuis toujours scellé par l’artiste, n’était enfin plus perturbé par toutes sortes de dispositifs mis en place pour faire écran avec le réel, s’en protéger. Les paysages de front de mer, - piscines désuètes, plongeoirs déglingués, objets rouillés, plages aux noms kitsch Kon Tiki, Sun Beach ou Miami - sont en majesté. Convoqué par la photographe, ce paysage surgit comme une tranche de son passé, comme une séquence dans l’histoire de ses émotions. C’est Casablanca arpenté comme un flash-back. C’est Casablanca regardé comme Valparaiso ou Tanger par une femme dont le roman familial, ici entamé, s’inscrit sur des photos d’enfance aux bords blancs dentelés. C’est Casablanca résonnant comme le nom du bar, enseigne aux lettres de néon, des amants du film d’Alain Resnais Hiroshima mon amour.
L’auteur a lâché prise. Le temps s’installe dans une durée, ne lui est plus compté, même si elle est dans le déplacement, le geste et le rythme du reporter. Ses images respirent, se dilatent, palpitent, congédient cadres et barres. La densité picturale est fascinante. Le travail est dépouillé, comme si le regard s’était éclairci. La charge émotionnelle est intense. On sent la photographe en résonance avec ses personnages, avec le monde, éblouie de se trouver au centre du fantasme, de la fiction, d’embrasser la vie. (…)
Florence Chevallier est partie d’un point où elle représentait son corps pour aller, aujourd’hui, vers un point où elle représente la ville, si sensuelle, où elle est née. Si elle n’est plus enfermée dans l’image, si elle n’étouffe plus dans le cadre comme au temps des Nus (1984), de Corps à corps (1987), de Troublée en vérité (1987), de La Mort (1991) ou du Bonheur (1993), elle n’en est pas moins toujours au centre, en quête d’elle-même. « Imaginez un travelling arrière, dit-elle. Au début, je montrais mon corps, puis mon visage, puis l’autre, avec moi, dans le cadre. J’ai eu recours à des dispositifs tels que la peinture, le miroir ou la mise en scène. Ces écritures formelles différentes correspondent à une traversée de la psyché. Je ne crois pas au regard objectif. Je suis toujours au plus authentique de mon sentiment intérieur. C’est à chaque fois la même histoire d’une identité qui se crée. Devenir sujet demande l’attention de toute une vie ».
Justement. Les Songes et Des Journées Entières (2000), présentés dans ce portfolio, précèdent de peu le travail au Maroc. On ne s’en étonnera pas. La proposition poétique des Songes, qui suit de près celle des Philosophes, dans lesquels le corps de la femme enceinte a enfin trouvé sa place, met encore en scène, de façon théâtralisée, des étudiants intéressés par l’art. Mais l’intention de départ n’est-elle pas, déjà, de s’ouvrir à l’extérieur, d’embarquer pour des villes baroques d’Italie ou pour d’autres, romantiques comme Salzbourg ? Avec la série Des Journées Entières, le mouvement de l’émotion est enclenché. Les personnages ne sont plus bloqués vers un ailleurs philosophique. Moins contraints, ils s’émancipent. Marseille, enfin, où de nombreuses prises de vue ont été réalisées, opère le déclic. « Il flotte sur cette ville une grande idée à laquelle Albert Londres, mieux que quiconque, était sensible : celle du départ » dit Florence Chevallier qui, l’été dernier, a donc, dans ce port de tous les possibles, senti l’appel de Casa. »
Magali Jauffret, « Casablanca, Mon amour » in pour "Voir" n°8, Janv. 2001