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Dessine moi un paysage

Aude de Bourbon Parme

Originaire de Rochefort-sur-Mer (Poitou-Charentes), Claire Trotignon est marquée très jeune par l’architecture XVIIe et l’urbanisme rectiligne de cette ville. Les premières pierres de son édifice artistique sont posées. Ses oeuvres produites depuis 2006, des dessins, des installations et des sculptures, exploitent ces réminiscences de l’enfance, images mêlant l’espace, l’architecture et la cartographie, dans un aller-retour entre passé et présent.

Etudiante aux Beaux-Arts de Tours, elle investit avec son ami artiste Nils Guadagnin un atelier qui ne tardera pas à devenir un espace laboratoire. Au White Office, ils invitent des artistes à produire des projets in situ en fonction du lieu. Dans sa pratique, Claire Trotignon utilise l’espace comme représentation d’une histoire, d’une société, d’une urbanité, d’un paysage dans lequel aborder la question des relations entre l’homme et la nature. En 2008, toujours en collaboration avec Nils Guadagnin, elle dessine à l’aide d’une tondeuse sur la pelouse du Domaine de Chambord, dans la lignée des jardins à la française. La salamandre de François 1er avait investi les moindres recoins de ce château. Elle utilise un autre logo, celui des Rolling Stones. Une rencontre entre la marque de deux rois. Au sortir de la demeure royale, le spectateur découvre un drapeau noir de pirate sur lequel sont inscrites les initiales du lieu d’exposition des artistes : Wo pour White Office. L’art contemporain prend en otage l’histoire, mais cela ne choque plus. Au contraire, l’art de nos jours attire de plus en plus de visiteurs dans les lieux d’histoire. Et ce n’est que le début, préfigure Jacques Attali à l’occasion de la conférence sur le projet japonais Insula présenté au Palais de Tokyo en décembre dernier. En octobre dernier, Claire Trotignon réitère cette confrontation entre passé et présent. En duo avec Nils Guadagnin elle installe une cabane dans les salons bourgeois du Centre d’art contemporain de la Rochelle. Transition entre deux espaces d’exposition, ce fronton moderne est aussi synonyme de replis, de protection et de survie.

Au Transpalette à Bourges, Claire Trotignon réalise une magnifique installation investissant l’un des espaces en friche voué à la destruction par arrêté préfectoral. Une ouverture dans une porte. Derrière, un paysage en ruine, des murs délabrés, un plancher dont il ne reste que les armatures et au fond un dessin. En apparence accessible pour celui qui oserait s’engager sur la jetée, cela n’est en réalité qu’illusion. L’accès en est interdit. On ne peut que regarder les traces d’une action passée et penser à sa destruction future. Paysage éphémère et impalpable. Puissance de l’artiste, impuissance du regardeur, frustré. Mais rien de tel qu’un peu de frustration dans un monde où tout est immédiatement accessible.

Pour ceux qui ont déjà eu l’occasion d’apprécier ses oeuvres, Claire Trotignon est plus connue pour ses dessins, représentation de la rencontre fortuite entre une architecture moderniste et une nature sauvage, entre vie sauvage et vie civilisée. L’homme n’y apparaît que par son action, l’architecture, qui pour certains est engloutie par la nature sauvage tandis que d’autres les imaginent au contraire en harmonie. Ses paysages se composent de traits finement dessinés. L’artiste, passionnée par les gravures du XVIIe siècle, les chine, les collectionne pour les retravailler et les découper ensuite. Rien à voir avec un sacrilège. Elle leur redonne au contraire vie en les recontextualisant.

Les paysages fictionnels qu’elle crée alors nous incitent à plonger dans la grandeur de la nature, rappelant à notre mémoire les toiles romantiques de Caspar David Friedrich, comparaison banale et pourtant si évidente. Ces paradis perdus enchantent tout autant qu’ils désenchantent. Car les rapports ambivalents entre la nature et l’homme ne prédisent aucun paradis futur. Les ruines d’oeuvres grandioses sont englouties par plus grandes qu’elles. Une sorte de fatalité irrémédiable. La ruine de l’utopie modernisme. La fin d’une ère. Mais pour quelle destination ?

© Adagp, Paris