Les Sténopodes

Sténopodes
En collaboration avec Bertrand Vyain
Vue de l'exposition Sténopodes en Afrique, Centre Photographique Saint-Cyprien, Toulouse, 1993

Avec Sténopodes, le questionnement sur l’œil m’amène à une collaboration avec Bertrand Vyain ( artiste photographe).
Ces objets sont des sténopés patatoïdes en bois «solos, couples, colonnes, autonomes», ces multiples expériences produisent des images photographiques, dedans /dehors, retournement, pixilation, miroir, trame ..., ou souvent l’appareil est contenu dans l’image qu’il a produit.


Un cas inédit de photosynthèse

Par où passe la relation entre ce sculpteur et ce photographe ? Par un trou. En grec, sténopé. Mais par ce trou, tout se passe : la sculpture et la photographie, la lumière, la vie, la reproduction, l'une et l'autre, l'intérieur et l'alentour. Si bien que la question n'est plus "mais comment font-ils pour travailler ensemble?" mais plutôt "comment auraient-ils pu l'éviter?".
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Entre Biet et Vyain, il y avait donc une chimère commune possible : celle qu'ils mettent ici sur pieds. Nous savions que les sculptures de Biet avaient des yeux, nous savons maintenant ce qu'elles voient. Nous avions beau voir ce que les appareils de Vyain capturaient, nous ne savions pas à qui, ou à quoi, revenait ce regard. Ils avaient besoin l'un de l'autre comme le tournesol a besoin de l'astre.
La question qu'ils posent est en effet cruciale : comment et pourquoi la nature, à l'origine opaque et enfermée dans sa matière, a-t-elle appris à voir ? Et la réponse qui est ici donnée par toute cette société de solos, de couples, d'autonomes, de colonnes narcissiques est lumineuse. La nature invente le regard à partir du moment où elle veut s'aimer. Bien entendu, ce qu'elle voit d'abord ce sont les défenses (cornes, épines, anfractures...) par lesquelles elle se protègaient à l'aveugle; bien entendu, elle les voit d'abord à travers des filtres (poils, mousses, camouflages divers...) dont elle s'était affublée pour tenir; bien entendu, cette ouverture au monde qui rend le lointain visible et aimable , se cache sous des apparences d'excroissance guerrières. Bien entendu, elle a vu tout de suite à quel point ce qui pouvait être aimable pouvait devenir dangereux. Elle a su tout de suite, dans le fouillis et la brume initiale de ce premier regard, à quel point les choses allaient être compliquées et, qu'en même temps que venait le désir d'être avec l'autre, venait la conscience distincte d'être en danger. L'aventure ne faisait que commencer, mais elle portait en elle, déjà, toute la dialectique et les figures de la guerre et de l'amour.
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La sculpture n'est pas cette chose qui est à voir dans la lumière et dans l'espace, elle est le dispositif et le reste d'un désir de voir qui laisse en elle, d'avance, une trace. La photographie n'est pas d'abord la capture encadrée d'un regard, elle est ce trou étrange qui happe à la fois le sexuel, le psychologique et le collectif, et par lequel la lumière a créé la conscience et l'inconscient de la matière. Avant toute prise de vue, il y avait cele : le trou. Bien difficile dès lors, de cerner la part de vie et de mort qui se joue dans la prolifération de ces machines organiques dont on ne sait plus pourquoi elles sont faites : voir, être vues, s'accoupler, se distinguer, se grouper, se tuer, se contempler. Bien difficile de savoir où elles vont être posées sur leurs pattes. Bien difficile de dénouer en nous les modalités par lesquelles elles nous regardent. Difficile ou inquiétant ? inquiétant, ou évident ?

Bernard Cier, avril 1990.