Mobile apparent
4 séquences de 4 minutes dans l'obscurité de cette architecture circulaire:
-l'enclos de Richard III
-le Train
-RedMarchesrouge , BlueMarchebleue, projections simultanées
-le Pisseur
L'histoire des 24 images sur 24 continue de faire tourner l'œil comme un petit globe attentif à son luminaire. Il n'est que de chercher dans le divin collyre quelques larmes falsifiées pour faire écran à l'émerveillement.
Loin. Derrière nous, quelques grands nyctalopes à pinceaux et à plumes à l'utopos hyperventilé, ont, comme le ferait un objet vidéonumérique, allumé la lumière. Aujourd'hui. Posée. La saturation digitale est assurément le passionnant avatar de la page blanche sur laquelle advient du langage.
Une pause est une ronde effraction dans la précipitation daredariste et son corollaire, le décomblement progressif du plaisir du temps.
Prêter du corps à l'image n'engage rien d'autre que du performant directement en ligne avec l'intelligence sensible et non d'acrimonieuses chimères virevoltantes au-dessus du chaos.
"Oh, arrête ça ! …nous aperçûmes
"Une pointe d'épingle lumineuse diminuer et mourir
dans le noir infini." (Vladimir Nabokov , Feu pâle)
Rémi Boinot
A Bourges, face à l’entrée de la Maison de la Culture, prendre à droite. Au bout de la place Séraucourt, un château d’eau réaménagé en salle d’exposition, l’entrée est gratuite. On ne peut pas se tromper. A Bourges, la Maison de la Culture est en brique rouge. La brique n’est pas une spécialité de la région. La brique est un symbole, symbole du nord, de la Classe Ouvrière et d’une idée que l’on se faisait de la culture à la fin des années 40. Cette Maison, première du genre, fête les 100 ans de naissance de son créateur André Malraux. Passionné par l’Extrême Orient, il affirmait que pour saisir le monde et le comprendre il était nécessaire de s’exercer à comparer les cultures. Boinot et Malraux ont deux points communs, l’amour de l’orient et le goût de la comparaison.
S’inscrire en marge des systèmes d’expositions qui sévissent depuis 20 ans dans le champ de l’art contemporain n’est pas une mince affaire. Et bien que l’on puisse faire tout et n’importe quoi, certains font exception et ourdissent une lecture sous la forme d’une opposition dialectique.
En premier lieu, Rémi Boinot n’inscrit pas son œuvre dans un « white » cube mais dans un lieu noir et circulaire, un château d’eau. Dans ce lieu noir, Rémi Boinot nous invite à orienter notre mode de perception habituelle du côté d’une tactilité tâtonnante et non du côté de la visibilité toute puissante.
Le second aspect du développement dialectique se révèle au cours d’un « cycle » de présentation des œuvres. L’orchestration est établie en quatre étapes en divers endroits du château d’eau. Chacune de ses étapes représente une scène mêlant la vidéo-projection, le mix sonore, la sculpture et l’installation. Le temps d’un spectacle, nous tournons comme des mouches autour d’une friandise empoisonnée. A l’encontre du plasticien bricolant les matières sonores et visuelles, Rémi Boinot assume l’orchestration spectaculaire.
Le concert de Rémi Boinot reflète avec violence la grande lessive des quelques symboles ayant dominés l’histoire de l’humanité. Comme autant d’images de marques, chaque symbole ne signifie rien moins qu’un ensemble vide au service des équations guerrières : l’économique, le militaire ou le religieux. L’intention est plus politique qu’esthétique.
Signalons encore un autre jeu d’opposition. Rémi Boinot refuse le compromis esthétique de bon goût, il rejète la violence de l’expression passant par le tamis des bonnes intentions pédagogiques et didactiques de l’art contemporain. Il nous faut entrer dans l’antre sans aucune explication et en ressortir quelque peu lessivé. La démonstration s’adresse à tous les publics.
Sammy Engramer
Lire la suite
Non content d’enchaîner négation sur négation, Rémi Boinot pousse le bouchon jusqu’à élaborer les quatre partitions telles des œuvres esthétiquement inégales. Il n’y a pas de continuité formelle, pas de style – une cruauté supplémentaire défigurant l’élégance des espaces ouverts à la lumière, à la pédagogie et au style.
Lors de la traditionnelle allocution, l’Adjoint au Maire de la Ville de Bourges fut attristé de ne voir aucune promesse d’espoir et d’avenir et de lumière…Je fus également affecté, mais pas pour les mêmes raisons. Mon confort visuel s’est trouvé dérangé. Puis les contenus ( dont je n’ai fait qu’esquisser les tenants) ont saucissonné puis tronçonné ma sensibilité d’artiste de salon. On ne sort pas indemne de ce lieu noir et circulaire qui s’exposera durant le festival Bandits-Mages. Esquinté, chahuté, secoué par l’œuvre d’un artiste creusant dans les sous-sol de l’art contemporain.
le Train
De l'ébrèchement des signaux naît la brèche du signe.
On est d'abord saisi par le lieu : un château d'eau du XIXème, brique et pierre, qui permettra, entre autres, a dit le maire lors de son inauguration en 1867, d'alimenter des bains publics pour de "vigoureux travailleurs" qui n'avaient pas les moyens de "se procurer cette jouissance à domicile". 134 années plus tard, Rémi Boinot résoudra-t-il ce problème toujours actuel de l'accession intime au bien-être, à l'être bien ?
"Mobile apparent" a été conçu, comme chacune de ses installations, à la fois en intégration inédite avec un lieu inspirant et dans la continuité d'une œuvre à chaque fois inspirée.
Il s'agit en l'occurrence d'un parcours qui se déroule en quatre parties de 4 minutes dans la pénombre de cette rotonde percée de regards.
La première, "l'enclos de Richard III", scande en français et en anglais le monologue original de Glocester dont le moi démesuré enclos dans son corps difforme a décidé à défaut d'être amant de "nymphes aux coquettes allures" d'être scélérat, fourbe, traître, au service de la prise de pouvoir.
Entourée de parois en verre à ciel ouvert, dominant huit lumières rouges sur tiges comme des bourgeons sanglants et huit plantes vertes - des kalanchoés - s'impose à nous la verticale blanche d'un néon, modernité blême, tour qui gratte le ciel de son ambition à la fois apodictique et déictique.
Profération depuis ce lieu clos du pouvoir d'un individu, le monologue de Glocester s'énonce en slam cependant qu'il annonce la venue de Clarence, sa victime.
Dès lors, initié par une flèche lumineuse, un carrousel dextrogyre commence à tournoyer, lumières et bruits d'un train qui va s'accélérant et nous révèle une succession d'emblèmes, ceux-là mêmes qui ont justifié tous les crimes. Leurs apparitions lumineuses suivies de phosphorescences nous saisissent comme les visions horribles qui surgissent dans les trains fantômes des fêtes foraines. A courir après elles, nous devenons boules de billard électrique maniées par des flippers flippant, ou les images prises au vol d'un praxinoscope pour les humains. Nous sommes à première vue, à première ouïe, à premier mouvement, les objets de ces signaux successifs avant de nous rendre compte qu'ils sont ébréchés, entamés, entaillés, écornés, corrodés, blessés, coupés. Voici venu le temps où s'abîment, se détraquent, se dégradent, se détériorent tous nos emblèmes fluorescents : croix asymétriques, logo masculin à l'envers, faucille coupée au marteau réduit au manche (l'ensemble n'est pas sans rappeler le sigle de l'euro), étoile de David à la branche cassée, ou croissant islamique mangé en partie, mur se réduisant à une brique quand la lumière le déserte, soleil qui manque d'un rayon, main tendue préhistorique ou fasciste ? , logo inversé de femme, tête de mort des pirates sans le quart gauche du crâne, svastika inverse de croix gammée, étoile à cinq branches enfin intacte (allusion à une nouvelle bonne nouvelle ?)
Après cette généralisation du pouvoir de l'un de la première étape à tous les signaux les plus aliénants de notre civilisation, nous voici parvenus à la troisième station : deux projections simultanées qui traitent de l'aliénation incarnée de l'inhumain que l'homme fait descendre en lui et revendique comme sien.
Face à la main levée, "le garde rouge" adulte costumé et maquillé en enfant, s'adonne à la longue marche : Las ! C'est dans le sur-place d'un home-trainer d'un trottoir d'entraînement qu'il feint d'avancer. Il entonne un chant martial : Las ! c'est un enregistrement magnétophonique qu'il tente de reproduire en play-back, grâce à un walkman, cependant qu'il se recouvre le regard des "yeux qui parlent", précédent travail de Boinot, lunettes qui occultent la vue par de petits hauts parleurs...
Aux antipodes du garde rouge et face à des empreintes stylisées de pas, l'autre projection filmée à ras de terre :"les pas bleus" (pieds chaussés d'une foule anonyme qui marche et revient sur elle-même) sur fond de bruit blanc, semble parfois suivre les répercussions lointaines du chant maoïste.
S'agit-il d'opposer le bleu au rouge ? de les compléter ou bien de rester dans une ambiguïté pleine d'humour ? Le terme "pas", signifiant aux signifiés contradictoires, oscille lui-même entre la négation-dénégation-déni et le déséquilibre dynamique qui permet la progression.
Les deux projections s'arrêtent, se concluent ? par le même point blanc central de 7 secondes comme si le bleu des pas sur une chaussée bleue, le rouge du garde, de ses pommettes, de son foulard, des arbres qui accompagnent sa psalmodie (enregistrée) se fondaient dans la même absence de couleur.
Mais la quatrième séquence s'annonce plus statique, faisant paire avec la première, comme la troisième avec la deuxième, borne provisoire du cycle complet avant qu'il ne se reproduise.
On avait commencé par le désir de puissance, on finit par l'envie de pisser qui emprunte le même organe à la sublimation près : la découpe éclairée, comme pour un pochoir, d'une silhouette d'homme pisse vers le bas, à l'alignement exact du néon (ce gaz malheureusement pas si rare) de Richard qui tentait de conquérir le monde faute d'assumer lui-même son corps. L'homme en fin de cycle est rappelé à ses nécessités. L'édifice de ses ambitions se mue en édicule pour ses excrétions. Le signe de son humanité le ramène au pipi qui le fonde. Il a quitté le château du roi monstrueux pour faire de l'eau dans son château d'eau. "Tous les nuages qui pesaient sur [sa] maison" ont crevé sous leurs poids, ils se résolvent en rigoles. La solution s'avère une dissolution, une dilution et Boinot remplit l'urinoir de R. Mütt le bâtard génial du siècle dernier.
Voyage spectaculaire et intime de seize minutes qui, à se répéter à partir d'un positionnement différent dans l'espace, nous entraîne en spirale de l'extérieur vers le centre, nous fait passer, dans l'expérience même, du centrifuge tourbillonnant des "attractions" qui nous plaquent contre les insignes dérisoires, au retour à notre sexe, notre corps, nos envies, à ce que nous-mêmes nous émettons dans le clapotis plaisant de nos besoins élémentaires.
Nous avons ainsi évolué du Phallus artificiel du tube fluorescent, au train des épouvantes de nos idolâtries fluos vingtièmistes, puis de l'enrôlement à la déambulation sans but. Passerons-nous le pas? Pisserons-nous le pis pour atteindre le meilleur ?
Rémi Boinot nous tire vers le bas, le bas de notre corps, nous fait descendre enfin dans notre chair recouvrée et évidée à la fois, nous rappelle les liquides qui nous composent fondamentalement, qui circulent en nous dans le cycle toujours renouvelé dont nous sommes les cyclistes obligés.
Vertige, réflexion, révolution sur nous-mêmes, messages à décrypter dans cette crypte circulaire, dérive associative, parcours ludique et politique qui fait tout sauf tourner en rond. Rémi Boinot l'iconoclaste nous enjoint de trouver nos propres signes dans un univers dont il met à mal les codes barrés établis qui se barrent peu à peu. Son œuvre est la constitution d'une symbolique propre qui nous incite, mine de rien, à fonder la nôtre.
Ici il part de l'achèvement (au sens d'anéantissement) des symboles estampillés. Au contraire de Richard III qui se disait "l'inachevé", au contraire des idéologies qui nous présentent (nous ont présenté) un monde utopique "idéal" achevé une fois pour toutes, l'œuvre de Rémi Boinot, précise, exigeante, rigoureuse, à la fois stricte et humoristique est le modèle d'une proposition personnelle forte qui se décline toujours au gérondif et, loin de nous réduire au rôle de spectateur médusé, induit nos libres élaborations. Avec lui, par contraste avec beaucoup d'autres, nous nous sentons sujets dans la déambulation que suscite cet artiste en marche qui nous met en mouvement.
Jean-Pierre Klein