Exposition Faire nager et s'envoler
Nice
4 novembre 2023 au 16 mars 2024
« Faire, nager et s’envoler » relie des œuvres et des artistes autour des gestes de la vie quotidienne qui nous portent et nous (in)supportent, nous donnent des forces et nous débordent, fluidifient et partagent les émotions.
« Faire et s’envoler », disait Marcelle Cahn en insistant sur la dimension sensible et intuitive de sa production plastique, pourtant souvent rattachée à une approche rationnelle. En 1930, elle peint des formes proches des corps de Fernand Léger, mais dans La nageuse le motif est singulier : le mouvement du bras tendu exprime une relation physique à l’eau. Nager, comme l’exprime poétiquement Gilles Deleuze, c’est s’appuyer sur le dehors, c’est se sentir faire corps avec ce qui nous environne et nous traverse. Aujourd’hui redécouverte, l’œuvre de Marcelle Cahn est mise ici en dialogue avec une scène artistique contemporaine dans un principe de sororité, créant des connexions et des rencontres dans un mouvement d’échos et de rebonds.
Carlotta Bailly-Borg peint des formes humaines fluides, mêlées entre elles et profondément intégrées au végétal. Prises dans des mouvement de chute qui sont tout autant des plongeons que des envols, elles butent sur les bords des cadres ou s’élancent dans les espaces libérées des toiles suspendues, dans une atmosphère troublée par tous les corps qui s’y meuvent ensemble. Dans ses collages, dessins et maquettes qu’elle réalise tout au long de sa vie à partir d’emballages et de cartes postales, Marcelle Cahn est dans un faire répétitif qui est aussi un envol poétique dans lequel on puise des forces mais où on se noie aussi parfois. Dans son atelier à Villefranche-sur-Mer, Emmanuel Régent produit des dessins grand format au feutre dans un étonnant équilibre d’apparition et de vide. Les images mentales qu’il évoque dans la série Le chemin de mes rondes sont liées à ces paysages qui l’environnent, partageant l’attraction pour ces mouvements qui nous entraînent et nous déposent dans des flux et reflux, entre force d’attraction et mélancolie profonde, sentiments partagés aussi par Nietzche dans ses marches sur les sentiers côtiers.
L’œuvre de Laëtitia Bourget suit les cycles du corps et des saisons, s’appropriant les sécrétions et les éclosions en les transformant dans des gestes répétitifs et ritualisés qui participent d’une forme de transe attentive à accueillir ce qui lui arrive. Les œuvres installent une ambiance intime et douce, un rapport sensible à la vie qui est aussi une exploration plus inattendue des représentations du corps. Substrat est une œuvre réalisée en collaboration avec Philippe Charles, dans un processus de collecte personnel et collectif. Sirine Fattouh a créé Les dormeurs lors de ses nuits d’insomnie, lorsque son corps refuse de se laisser aller au repos quand son pays — le Liban — est en proie à tant de drames et que son avenir s’assombrit chaque jour un peu plus. Alors son esprit malaxe la terre, lui transmet ses émotions et donne forme à des dormeurs qui dorment à sa place, puis sont moulés en argent au Liban avant d’être délicatement posées dans ses mains de cire. Marcelle Cahn a beaucoup travaillé dans ses espaces de vie, ou vécu dans ses ateliers, et les dernières années travaillé sur son lit, dans une chambre dominée par la nécessité de faire. Souvent isolée en dehors des échanges épistolaires, en proie à des périodes de dépression, à des difficultés financières, Marcelle Cahn mêle l’acte créatif au quotidien, transforme les emballages de médicament, les enveloppes, colle et découpe dans un faire très précis, conceptuel et poétique.
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L’articulation étroite entre l’art et la vie qui est au cœur du projet de la Gaya Scienza s’exprime très clairement dans les œuvres de cette exposition. Lorsque Victorien Soufflet a reçu sa première bourse de production, elle s’est achetée un nouveau lit pour améliorer sa vie personnelle et a récupéré les éléments de l’ancien pour produire une série d’œuvres qui viennent habiter la Gaya Scienza avec des mémoires de corps et des infiltrations de désirs. Laure Prouvost a elle invité sa grand-mère et des enfants de son quartier de Molenbeek à collaborer à sa vidéo Every Sunday, GrandMa, filmant sa grand-mère lorsqu’elle devient oiseau, lorsqu’elle part migrer avec eux, faisant disparaître les frontières et apparaître les désastres qui détruisent les écosystèmes, les vies humaines et animales, encouragée par les chants des enfants. Nager, flotter, voler non pas pour s’échapper mais pour faire corps ensemble et transformer nos manières de faire, de voir, de penser.
La pratique d’Hélène Bertin est-elle ancrée dans le collaboratif, dans les rituels anciens, dans les savoirs populaires. Elle s’approprie des formes et des techniques pour créer ici un totem, là une cabane, qui sont autant de lieux refuges et de partage pour vivre l’art dans une relation immédiate et joyeuse et nous installer dans une quête de sens. Faire avec c’est aussi réinterpréter une cabane du designer Victor Papanek, accueillir des cartes postales de Marcelle Cahn dans ses cadres sculptés, et réaliser une cape-oiseau pour conteurs avec Aline Cado et Lama Talaï. Avec cette exposition La Gaya Scienza est habitée de corps, de mémoires, de gestes performatifs dans une atmosphère parfois empreinte de chamanisme, comme ceux qu’Alice Anderson produit avec ses totems et ses peintures. Le rythme chorégraphique de son processus créatif est envoûtant, son corps en transe impose sa marque à l’espace, aux toiles et feuilles où elle peint avec des objets technologiques au rebut qu’elle cristallise ensuite de fils. L’intensité des gestes déposés, des relations aux choses et au monde produit une atmosphère chargée d’échos et d’écoute. « Faire, nager et s’envoler » célèbre l’ouverture d’un nouveau lieu d’art et de vie collective en réunissant des œuvres et des artistes imprégnés des émotions de nos vies contemporaines et profondément en dialogue avec ceux et celles qui nous ont précédés. Tout au long du vernissage et de l’exposition, des lectures, discussions, jeux, dégustations, projections, performances viendront activer les œuvres et les prolonger.
À l’automne 2023, un nouvel espace d’exploration artistique et poétique situé 9 bis, rue Dalpozzo à Nice, vous ouvre ses portes ! En cœur de ville et à proximité de la mer, La Gaya Scienza est un espace d’exploration artistique et poétique installé dans un vaste appartement niçois de près de 300 2, ouvert sur la cité. Inspirée à la fois de l’art des troubadours et trobairitz et du Gai Savoir nietzschéen, dont les derniers chapitres auraient été écrits à Nice dans les années 1880, l’expression gay saber (la gaya scienza) qualifiait en occitan médiéval l’art de composer des poésies lyriques. De ces racines troubadouresques — latine, occitane ou arabe — s’inspire la tentative de La Gaya Scienza de composer, inventer ou deviser ; découvrir ; ressentir une émotion, une excitation, une agitation. C’est un temps et un espace de liberté rares que ce lieu souhaite développer, comme une forme de douce résistance. Tendu vers un horizon hospitalier, pluriel et mouvant, lieu de partage et d’échange, le fonds de dotation La Gaya Scienza s’envisage comme un écrin chaleureux de rencontre, de voisinage et de convivialité. Un espace librement accessible à toutes et tous, dont l’insolent soleil azuréen tiendrait la porte grande ouverte, misant sur une porosité intense entre l’art et la vie. La Gaya Scienza accorde une attention particulière aux formes sensibles, à ce qu’une œuvre d’art peut éveiller, déplacer, provoquer, soulever. Elle prend part à la fabrique de la création contemporaine en accueillant deux fois par an des expositions confiées à des commissaires invitées, en constituant une ludothèque de jeux d’artistes en accès libre et en soutenant les artistes via deux bourses de création annuelles. Tout au long de l’année, sa programmation culturelle généreuse et généraliste propose au gré des occasions, des projections de films, soirées de parcœuristes, arpentages, ateliers culinaires, clubs de lecture, débats et controverses, scène ouverte aux poètes et poétesses, workshops autour de la ludothèque, bureau d’écriture publique, conférences en histoire de l’art, poésie ou philosophie… Misant sur l’enthousiasme, l’envie de faire ensemble pour se (re)vivifier, La Gaya Scienza vous convie à créer collectivement l’intervalle où se rencontreraient « l’infiniment petit de l’espace du dedans » [Fernando Pessoa, Un singulier regard] et les grondements d’un monde intranquille, dans une dynamique mouvante et joyeuse.