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Texte de Georges Quidet

Les peintures et sculptures de Jonathan Bablon séduisent autant qu’elles surprennent, elles bousculent les esprits par leur étrangeté et surtout leur singulière nouveauté, leurs titres, souvent des acronymes qui les propulse dans des univers de science-fiction, leur manière très spéculative d’associer, de superposer les paysages les plus extraordinaires de la nature, des images de peintures célèbres et toute l’imagerie produite aujourd’hui par la science : des modélisations inouïes de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, des coupes dans les tissus biologiques ou les sols, des diagrammes d’objets techniques, des planches explicatives. Toutes sont de nature à prouver qu’il y plus d’invention et de création dans le réel que dans la fiction, que l’art se doit de sonder en profondeur, d’étaler en surface cette source d’invention qu’est la vie, son potentiel de création, telle qu’elle anime et s’exprime dans le vivant, traverse le monde.

L’artiste s’y emploie avec des couleurs vives et chatoyantes, des couleurs lumière qui orientent leurs faisceaux sur les flux de vie traversant les cellules, les matières, voire les dispositifs techniques, il rivalise avec les réactifs chimiques qui mettent en couleur et en lumière l’imagerie scientifique. Cette puissance de vie qui s’empare des éléments pour les rendre vivants est d’autant plus exhaussée que ces éléments sont quelconques, des poils, de la graisse et de la viande dans T.GRAV par exemple, 4 tranches de peau en croissance ,les merveilles de notre porosité au monde,  des paysages de chair exceptionnellement toniques qui pourraient éclore en bouquets inquiétants dans les pages des Illuminations, des fleurs à la Rimbaud. Le geste de Jonathan provient bien de la peinture, de l’imaginaire des relations entre les couleurs et la lumière, de cette opération alchimique qui consiste à transmuter en lumière le plus terne ou ce qui est peu digne d’intérêt.

Ces œuvres se portent bien et diffusent une impression de bonne santé, de « grande santé » devrait-on dire, reprenant ce terme de Nietzsche qui évoque la traversée de tous les tourments et désastres, elles sont d’autant plus suggestives dans un monde où la vie est mise à mal et polluée de multiples façons. Elles mettent en avant une parabole poétique, une « nouvelle alliance » de la nature et la technique pour changer le rôle des humains sur la planète. Les formes étonnantes dans cette peinture sont souvent des reprises de modèles de la recherche scientifiques, de fabuleux dispositifs techniques inventés par la vie à toutes les échelles du vivant ; des mitochondries, comme de minuscules haut-fourneaux ou centrales nucléaires pour produire l’énergie dont nous avons besoin, les incroyables villosités qui dans nos organes amplifient les surfaces d’échange et d’absorption…Si la nature donne l’exemple à la technique, celle-ci peut se rapprocher de la nature : elle se greffe sur elle avec des ramifications de tubes et tuyaux, des canaux et des connexions, des zones d’échange et de régulation …  

Jonathan se situe dans la génération des enfants du compost, dans les déchets du monde issu du rêve prométhéen qui a dégénéré et fourvoyé les imaginaires ; le mal est fait, il est bien là, et c’est au plus vif du désastre qu’il faut chercher l’astre de lumière et l’ange de l’avenir. La technique a pollué la culture des fraises ou des tomates, mais dans les laboratoires se prépare une autre technique, biomimétique, qui imite la nature et tente de faire mieux qu’elle. Les quatre tableaux de « il y aura toujours des tomates » en donne le viatique, l’image porteuse et prophétique, tout comme « le fond de l’air est encore chaud ». L’artiste n’a pas à planter, à cultiver la terre, produire de l’énergie. Il ensemence notre imaginaire, y fait pousser des fleurs comme « la fleur bleue » du romantisme », des arbres toujours distributifs et paradisiaques, mais loin de nos arbres de la connaissance, des organes qui respirent, des coraux sauvés par les humains, et bien d’autres choses qui rendent passionnante la découverte des œuvres de Jonathan Bablon, de leur biomimétisme, de leur tropisme vers des formes de vie régénérée.  

HCE Galerie / Georges Quidet