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De 14h à 18h30

2014
Galerie DeLaCharge, Bruxelles

Le paradoxe de la modernité esthétique tient, essentiellement, en l’irrésolution de la garde de ce qui doit être exposé, observé, ou simplement, re-gardé. Pour le dire autrement nous ne sommes pas encore en mesure de penser le fonds, le stock, à la fois des œuvres et des documents d’œuvres qui s’accumulent. C’est précisément l’œuvre de Mnémosunè, c’est-à-dire à la fois le travail de mémoire et de contemplation de la facticité de l’opérativité. Or le travail de Dieudonné Cartier se tient dans une irrésolution qui consiste à jouer avec les défaillances de la garde et des regards, avec les hésitations si longues et si prolongées entre la conservation et la dispersion, entre la collection et la disparition, entre la réserve et l’éparpillement. Il procède alors, dans un premier temps, en entourant les objets d’une multitude de petits dispositifs parergonaux, c’est-à-dire d’une multitude de petites dispositions qui jouent avec les processus de l’exposition : le cadre, la signature, l’esthétique administrative, l’exposition de protocoles et la documentation. Il procède encore, dans un second temps, à la constitution d’un protocole conceptuel de conservation et d’indexation des documents : les archives, les multiples, le travail complexe sur l’originale, le tampon, la publication, le catalogue, etc. Il est alors possible d’énoncer que ce qui est à voir, ici, est exemplairement la crise des dispositifs parergonaux et conceptuels qui entourent l’interprétation, en creux, de ce que nous nommons art moderne et contemporain. Cependant il nous faut encore enfoncer le regard dans chacun de ces stocks pour tenter de déceler ce qui pourrait encore se tenir très en réserve : une bibliothèque vide ou plutôt vidée de la charge de l’indispensable affectivité du texte, ou plus précisément de la littérarité, un dispositif inutile qui publie de manière parfaitement contradictoire et parodique Le Capital de Karl Marx en l’obligeant à s’offrir à l’ouverture de la galerie comme une œuvre unique et signée, un bureau qui ne cesse de montrer que l’existence de l’œuvre se tient au plus prêt de l’attente d’un certificat, d’une fiche, d’un coup de tampon, d’une indexation, d’une classification, ou encore de toutes petites expositions qui se tiennent, discrètement, au creux de cadres pour y montrer les restes sensibles de la discursivité des œuvres. Le travail de Dieudonné tient à la fois de la rigueur de tout processus curatorial et interprétatif, mais aussi d’un regard singulièrement parodique de l’œuvre et plus précisément de l’art, qui tient à la fois l’exposition réduite à des cadres, à des réserves aussi vides que pleines, à des documents qui se proposent impassiblement à l’œuvre. Est-il possible que Le Capital de Marx deviennent une œuvre ? Cela relève-t-il du seul choix de l’artiste et de l’acheteur ou cela se maintient-il absolument impossible dans la lecture de la pensée de Marx ? Ce qui est parodique est dès lors que la lecture de l’œuvre ne puisse avoir lieu, autrement, qu’avec cette manière si singulière qu’a Dieudonné Cartier de produire une garde : autrement dit, il est ici presque hors de propos, presque impossible de lire et de regarder ce qui est exposé sans penser à la fois au concept de valeur et de travail chez Marx et sans penser au principe d’insincérité de Broodthaers.
L’œuvre suppose un temps de travail, un dispositif technique et l’expérience d’une formule de séduction. C’est cela précisément qu’il nous faudra surmonter dans le regard sur l’œuvre de Dieudonné. 

Fabien Vallos (12 mars 2014)

Transformation de la plus-value en capital, 2014

Dispositif d’impression, de lecture de destruction et de diffusion du Capital de Karl Marx, pensé et organisé sur les horaires d’ouverture de la galerie.
Techniques mixtes
172 x 168 x 42 cm
Galerie DeLaCharge, Bruxelles, 2014
© Elina Belou

Mnémosunè (la somme de l’indispensable), 2014

Bibliothèque en sapin, embossage à froid et protocole, impression sur papier
88 x 35 x 23 cm + 51 x 31 cm
Galerie DeLaCharge, Bruxelles, 2014
© Elina Belou