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Exposition Syntaxes Urbaines

Mathilde Jouen, octobre 2012

« Chantier qui tremble chantier qui bat de lumière
première
l’énigme est de ne pas savoir si l’on abat si l’on bâtit. »

Extrait du poème Une Pelle de André Breton.

Territoires en deuil, poussières d’un passé architectural trop vite effacé, images de l’oubli. Anne Houel capture, à travers le langage de la matière, des paysages en mutation constante. C’est dans le lieu d’exposition qu’elle interroge les rénovations urbaines et leur flux continu. Quel est le temps d’existence de la ruine, du rebut ? L’obsolescence inéluctable des architectures n’est-elle pas le miroir du destin humain ?

La proposition Syntaxes urbaines se déploie du sol de la ville jusqu’au 6ème étage d’un immeuble, où l’on reprend son souffle sur le seuil d’un appartement devenu installation. Cet appartement, soulagé de ses cloisons pour mieux respirer dans la lumière, est repensé par l’acte de destruction. Une destruction qui ne résonne pas comme une blessure mais comme un renouveau, une étape de la construction.

Quelques motifs de papier peint restent suspendus dans l’espace, le ventre des cloisons nous révèle ses matières nues. L’artiste y a disposé des centaines de parpaings bruts, formant des sculptures/murs alvéolés. Un labyrinthe qui fusionne avec l’architecture d’origine du lieu. Des recoins comme des cachettes. Les trous béants de l’espace comme des trous de mémoire. Et tandis que les murs s’allègent, s’effacent, le parpaing vient exister dans son assemblage lourd.

À l’intérieur de ses cavités, des maisons miniatures en céramique. Des céramiques blessées comme fondues parfois. Une étonnante fusion de la forme et de la matière puisque si la céramique est un matériau millénaire épousant ici une forme standard, le parpaing, lui, renvoie à sa propre modernité.

À l’échelle du corps ou du regard, on promène son oeil dans les lotissements de maisonnettes nichées dans leur matériau d’existence. Le titre Pondeuses évoque non seulement les machines à fabriquer des parpaings mais également la production de masse, relayée par l’image de la poule en cage, procurant sans cesse des formes aussi fragiles que des céramiques. Ainsi cette installation existe entre force et finesse dans un lieu qu’on aurait réveillé d’un long sommeil.

En contrebas, sur l’asphalte, un tas de sable est surmonté de « pâtés » réalisés à l’aide d’une jardinière en plastique. La ruine devient construction et la construction devient ruine. Les formes s’effritent avec le vent et la pluie. Comme ces châteaux de l’enfance offerts à la progression des vagues, voués à une lente destruction.

Une sorte d’archéologie du paysage naît du travail d’Anne Houel. Elle insuffle à l’objet/image, les caractéristiques historiques d’un « quelque part » en voie d’extinction. En confrontant les matériaux de récupération et les matières issues de la pure création, sa recherche fusionne avec un environnement urbain qui semble échapper à toute volonté humaine. Apparition ou disparition, ses fragments d’architecture sont comme des points d’équilibre dans l’espace. Ses oeuvres offrent une réflexion basée sur la destruction, la mémoire et le renouveau. Aux frontières de l’espace mourant et de l’espace naissant, Anne Houel explore et collecte les traces d’un monde transitoire.

© Adagp, Paris