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Compte Rendu

Exposition personnelle
La Fermeture Éclair, Caen, 2012

Vues de l'exposition Compte Rendu, La Fermeture Éclair, Caen, 2012. Photographies de © Christophe Bouder.

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Mathilde Johan, 2012

« Est-ce que le temps qui régit la ville contemporaine est devenu trop frénétique qu’aucune ruine n’ait le temps d’exister ? Cette question anime le travail de la jeune artiste qui a pris le territoire urbain comme matériau premier. Anne Houel prélève ainsi des morceaux de ces paysages en transformation à qui elle donne une seconde existence.

MAN, Mises aux Normes sont des gravas dont un placoplâtre vient lisser les contours, elles oscillent entre rebuts et sculptures et deviennent étrangement des petites maquettes d’architecture.

Ammonites sont aussi des débris, cette fois sauvés de la disparition par le tissu géotextile qui les entoure et qui sert habituellement à empêcher que les pierres ne soient absorbées par le sol. La couture qui enferme la pierre ressemble à une cicatrice en écho à celles qui marquent le paysage urbain et chaque emballage fait penser à un petit linceul. Le geste d’Anne Houel semble être autant une tentative de retenir de l’oubli les traces de l’ancienne ville que celui de ritualiser sa disparition, deux faces d’un même travail de mémoire. Ammonites est aussi le nom d’un fossile qui a la forme d’une spirale, peut-être dans une lointaine association formelle avec les œuvres de Robert Smithson. Il tentait dans les années soixante-dix une sculpture à l’échelle du paysage dont la spirale et l’amas étaient des formes récurrentes, il a également énoncé l’idée de « ruines à l’envers ».*

Sans titre est un filet de chantier pour protéger les passants des façades en rénovation, qui devient une peinture murale, sorte de all over tout droit venu de la rue. Il trouve particulièrement sa place à la Fermeture éclair, lieu amené à disparaître : il semble retenir le lieu comme se faire absorber par lui. Si Anne Houel prélève les traces matérielles de la ville, elle collecte aussi des photographies de lieux bientôt en destruction ici ou ailleurs. Breite Straße, Berlin et La Guérinière, Caen sont des paysages d’immeubles disparus ou qui le seront bientôt. Ces œuvres sont le résultat d’un processus de transformation qu’elle fait subir à l’image : projetée, la photographie est redessinée, le dessin est ensuite passé sous une presse pour en obtenir la trace, le fantôme d’un paysage en quelque sorte.

Toutes les œuvres semblent ainsi hésiter entre apparition et disparition. Le filet s’intègre dans le lieu et son histoire, les rebuts se confondent avec le blanc des mûrs, révélés dans le détail par ces œuvres discrètes, et les dessins peinent à se faire voir ou à se faire oublier. Elles jouent toutes avec une certaine indétermination de leur statut : peinture ? Sculpture ? Dessin ? Gravure ? Architecture ?

Le grand montage photographique à l’entrée (19 janvier 1987, 20h12) autre paysage, est plus mystérieux. On y retrouve tout le vocabulaire de l’artiste mais cette fois c’est un paysage onirique, noir et blanc, semblable à une seconde peau et à une image mentale. Ce mural est le premier d’une série à venir et la tentative de matérialiser un rêve qu’elle faisait enfant. Un rêve inquiétant dans lequel elle pénètre par un portail, suit un chemin que de grosses pierres rendent menaçant. À son arrivée dans un grand espace vide, correspond un moment de sérénité et la fin du rêve.

Le motif de la ruine est une métaphore de la mémoire et du temps qui passe mais l’écho que fait le mural à une (in)conscience personnelle éclaire sous un jour nouveau la fragilité des œuvres, leur distance et leur hésitation entre présence et absence. »

*Robert Smithson a théorisé l’idée de « ruine à l’envers » pour parler des constructions qui apparaissaient dans les années soixante aux Etats-Unis, et décrire des architectures dont la disparition semblait inscrite dans leur construction même. La spirale est un motif qu’il a souvent utilisé dans ses œuvres monumentales.

Œuvres exposées

Cultures, mini-serre rebuts poutre IPN, 35 x 20 x 135 cm, 2011

MAN, Mises Aux Normes, fragments de béton armé placoplâtre, dimensions variables, 2011

Ammonites, rebuts géotextiles et fil nylon noir, dimensions variables, 2012

Monotypes, graphite papier Arches 300g, 80 x 60 cm, 2012

© Adagp, Paris