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Charnières d'Afrique

Le projet
Séjour à Ouagadougou au Burkina Fasso en Afrique
1992

L’expérience des Charnières s’est poursuivie lors d’un séjour à Ouagadougou au Burkina Fasso en Afrique. À partir d’objets que j’ai récoltés et réalisés avec de multiples artisans Burkinabés (ferblantiers, bronziers, forgerons, sculpteurs sur bois …) l’ensemble fut terminé au retour, plombé, puis dessiné, 18 sculptures, 60 dessins.
Je m’interroge sur l’objectivité de la vision et sur la «mécanique» de l’œil. Je fabrique alors des objets en bois qui utilisent l’optique de manière détournée ou absurde jusqu’à la fermeture totale, ce qui m’oblige à la description et à la réinvention par le dessin.

45 objets et 90 dessins ... je m’interroge sur l’objet vue dans toute ses dimensions, et ces possibles représentations. Un livre ancien de botanique me sert de fil conducteur, je réalise des formes en bois creusées qui enferment des objets confectionnés ou récoltés qui s’imbriquent, s’emboitent, comme ces modèles végétaux (la graine comme œil) ces objets seront refermés sur eux même (retable) puis cadenassés, cette fermeture totale, m’oblige à la description et à la réinvention par le dessin, vu ou imaginé …


Ces dernières années, Biet a beaucoup erré en Afrique. Il y a déambulé sur les lieux où se concentre, dès l'aube et pour quelques heures, la vie sociale - marchés et abattoirs - et aussi en des lieux plus secrets comme les ateliers de fondeurs ou de forgerons. Suivant son habitude, il a beaucoup noté. Il a aussi acquis des des produits naturels - échnatillons de peaux, de graines, de plumes - et de ces objets manufacturés dont nous avons perdu l'usage et que les Africains, attentifs par nécessité à ne rien laisser perdre, fabriquent encore des objets de récupération. De ces mille choses vues ou collectées est née, sur place, une première série de dix-huit dessins rehaussés d'aquarelle. Ils forment un carnet de voyage où des notations désorganisées se chevauchent, se recouvrent, un peu à l'image de la pensée que l'on laisse vagabonder dans l'attente d'une idée, d'une impression, qui viendra tout organiser.

À son retour en France, cette première série a donné naissance à une seconde. On y voit alors s'opérer l'alchimie de l'atelier : comment, une fois les impressions débarrassées des scories du voyage, de ces mille choses remarquées mais qui deviennent anodines, des oeuvres commencent à émerger. C'est une série de boîtes, aux formes hésitantes, dans laquelle les objets acquis sur les marchés et encore imprégnés de l'aura de leur usage (il y a en autre, un couteau qui servait à dépecer les animaux et une griffe dont l'emploi probablement banal se pare du mystère que lui confère son origine), vont trouver place. Dans les marges du dessin, comme sur les études d'architecte, des notations plus précises. Ce sont souvent des détails d'assemblages ou des mécanismes qui donnent un mouvement à chaque objet lors de l'ouverture de la boîte. Une fois l'idée fixée, les configurations établies, naît une troisième et dernière série de dessins. cette fois tout est dit, tout est là : la forme de la boîte, les cavités du bois, la position de l'objet qui y sera enfermé, le mécanisme, la place de la charnière, l'ordre d'ouverture des pièces. Chaque objet, même banal, y est métamorphosé. Il se charge, de par sa position et son mouvement putatif, d'une agressivitéinattendue. Il évoque souvent un instrument de torture, ce qui montre que les objets sont toujours prêts à se révolter.

Les dessins finis, il ne reste plus qu'à passser à la réalisation.

C'est ainsi que naquirent les "Charnières d'Afrique" : dix huit assemblages de morceaux de bois sur lesquels viennent se greffer des appendices de métal : cages, trappes ou simple grillage. Chaque sculpture est close par un cadenas plombé. Ouvrir à l'intérieur, découvrir l'objet et son mécanisme nous est intredit. On ne joue pas si ce n'est à un exercice de mémoire (Biet tient à ce que les sculptures soient présentées loins des dessins) afin de retrouver à partir des formes extérieures l'objet enfermé.
Des "Charnières", le spectateur ne voit donc pas que des formes brutes, étranges, en bois mal dégrossi. Elles ne sont pas sans rappeler les moules qui, dans les ateliers de fondeurs, enferment déjà en leur sein une sculpture encore à naître, un peu comme la graine contient déjà un arbre. Elles évoquent aussi des caisses qui sont comme autant de consignes par les ouvertures desquelles il nous est seulement permis d'apercevoir des fragments des objets qu'elles contiennent. Il y a là une certaine perversion, inhérente à tout souvenir de voyage : celle de donner à voir l'effet plutôt que la chose.

Philippe Peltier, 1993


Quelques dessins issus de la série Charnières en Afrique, 1992


La résidence à Ouagadougou au Burkina Fasso


Exposition collective Avant Centre, 1993
La Tannerie, Mézière-en-Brenne

© Adagp, Paris